mercredi 17 novembre 2010

A la mémoire de...

Petit texte court, post-apocalyptique.
C'est l'histoire d'un chercheur de souvenirs, d'un homme dont le métier est de retrouver des témoignages du passé.

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Deuxième jet, cliquez ici.

Bonne lecture pour le troisième jet, ci-dessous:


Le vent souffle sur la ville, s’immisce dans les ruelles et toque du doigt aux fenêtres brisées des appartements désertés de tous sauf des rats. A la tombée du jour, ils sortent pour se nourrir, tapissant le bitume d’un épais tapis gris-noir troué de milliers de points lumineux, les yeux des rongeurs. Je rêve de plus en plus souvent d’un barbecue géant… Il me faudrait un lance-flammes, des grenades peut-être. La viande ne manque pas, mais elle mord, et je ne parle même pas des maladies.
De la ferraille s’écrase au sol, me tirant brutalement de mes rêveries. L’endroit est malsain, il ne faut plus que je m’attarde. Une dernière bouffée de tabac envahit mes poumons, une pichenette expédie ma cigarette au loin, et je reprends en main mes dernières trouvailles : un ours en peluche et un album photo. Sur la couverture, un enfant m’observe en souriant.
Des souvenirs remontent à la surface en le détaillant. Une voix, un rire, des cris. Des odeurs, également. Pas d’images, que du noir, et un peu de gris. Le reste est parti en fumée, tout se mélange dans ma tête. Je sais seulement que c’est pour ce genre de témoignages que je suis venu si loin, en plein cœur de la zone rouge. Mes clients me paieront bien, cette fois. J’ai trouvé ce qu’ils voulaient, même si j’ignore ce qu’ils espèrent en tirer à part des larmes et de la douleur.
-          Putain de guerre.
Le soleil rase la cime des immeubles et les ombres s’allongent. Des bruits furtifs annoncent leur présence, dans les sous-sols. Il faut que je parte. L’ourson reprend sa place dans mon sac et je claudique vers un box à la porte usée par la rouille. A l’intérieur, une jeep de l’armée à la capote rapiécée. Leal, ma seule véritable amie.
La clé de contact fait tousser le moteur, un coup sur le tableau de bord et la jauge d’essence reprend sa place. Déjà quinze ans que je l’entretiens comme je peux, avec du matériel de récupération, mais elle s’essouffle chaque jour un peu plus.
Lentement, je me faufile entre les barres d’immeubles et les carcasses de voiture abandonnées. Le vent se réveille et s’engouffre dans les pages de l’album photo, ouvert sur le siège passager.
Une cassette dans le magnéto, le son poussé au maximum, je quitte la ville en chantant. Au beau milieu de Stairway to Heaven, la bande magnétique se bloque, définitivement.
Je chante plus fort, plus faux, ça me fait une présence, un compagnon… Quelqu’un à écouter.

jeudi 11 novembre 2010

Stupeur place de la grève...

Premier jet: ici !
Seconde version: ici !

Et ci-dessous, troisième version de mon petit texte satirique - politique (un peu sur les bords):

Hier soir, le théâtre de la place de la grève affichait complet, comme toujours depuis la programmation d’une pièce au thème sulfureux : « Prendre sa retraite ou survivre, il va falloir choisir ».
Les scènes s’enchaînaient dans un joyeux désordre lorsqu’un spectateur fit irruption et exigea le silence en déclarant « Je prends les mots en otage ! »
Et le public avec, tant qu’il y était.
Stupeur dans la salle, l’individu en profita pour se présenter.
-          Je m’appelle Nicolas Robert, dit « Lepetit ». Je suis membre d’un parti d’extrême-centre que vous connaissez tous, et auto-entrepreneur dans le commerce des fausses promesses électorales.
Une légère houle agita le public, qui alla s'échouer aux pieds de l’orateur improvisé. Il sentit qu’il perdait pied.
-          Je prends les mots en otage pour mieux les libérer devant vous, mesdames et Messieurs ! Car, oui, je vous le dis, certains au gouvernement n’hésitent pas à s’accaparer le droit de parole au détriment des honnêtes artisans dont je fais partie !
Monsieur Robert dit « Lepetit » reprit son souffle, la houle s’agita de plus belle.
-          Aussi, j’exige ce jour la libération immédiate et sans conditions de la phrase type « casse-toi pôv… », détenue en toute illégalité depuis septembre dernier par les services de l’Elysées !
NDLR : Monsieur Robert s’est récemment porté acquéreur des droits commerciaux sur le thème : « Casse-toi pôv grippe A », ou encore « Casse-toi pôv sélectionneur ». Mais la vente en officine de ces phrases types ne pouvait se faire sans une décision en ce sens du tribunal administratif de Nanterre, qui vient précisément de rendre un avis défavorable.
Monsieur Robert n’a pas manqué de dénoncer sur scène l’ingérence manifeste des pouvoirs publics dans ce dossier. La houle se changea en déferlante, Monsieur Robert dut hausser la voix pour continuer de se faire entendre.
-          J’exige également l’abrogation pure et simple de la loi sur la politique des quotas dans le cadre de l’immigration linguistique ! Une langue figée est une langue morte ! Vive les corners, et mort aux coups de pied de coin !!!
Arrivé sur les lieux, le Capitaine de Gendarmerie Louis Gloriot entama les négociations. Monsieur Robert, qui détenait plusieurs centaines de mots en otage (constituant les deux derniers actes de la pièce), menaça de les détourner publiquement de leur usage et, si ses exigences n’étaient pas satisfaites, de les manger accompagnés de brie de Meaux et d’une bouteille de côte de Beaune, qu’il brandissait à bout de bras d’un air menaçant.
Plusieurs des comédiens tournèrent de l’œil et s’écroulèrent au sol. L’un d’eux est hospitalisé dans un état critique à l’hôpital du « Mot couvert », le pronostique vital reste engagé.
La situation, particulièrement délicate selon le Capitaine Gloriot, n’évolua pas jusqu’à l’intervention de l’Unité Spéciale du G.I.I.S. (« Groupement d’intervention des Intermittents du Spectacle », ndlr).
Les agents de cette brigade, peu connue du grand public et spécialisée dans les atteintes au caractère sacré des lieux de Culture, prirent position. Devant le refus catégorique de négocier de Monsieur Robert, ordre fut donné de lancer l’assaut.
Celui-ci fut bref. Une remarque assassine, décochée à plus de deux cent mètres et sans micro par un tireur d’élite, réduisit au silence le preneur d’otage, ouvrant la voix à l’évacuation des derniers mots de la pièce encore présents sur les lieux.
La création d’une cellule psychologique a été annoncée par le Ministre de la Culture, Monsieur Bernard Pavot.
Le prévenu doit être jugé au tribunal de Meaux. Par mesure de sécurité, Monsieur Robert sera auditionné bâillonné.
Il encourt une peine maximale de douze mois d’écoute quotidienne des débats de l’Assemblée Nationale.
L’hôpital du « Mot Couvert », doté d’une unité spécialisée dans le traitement des maux et troubles linguistiques, a annoncé via le site internet du Monde, lui réserver une chambre.
Maître Larousse, avocat de Monsieur Robert, s’est abstenu de tout commentaire, déclarant seulement que son client n’hésiterait pas à faire appel en cas de confirmation du jugement lors de la prochaine Université d’Été du tribunal de Meaux.
Article 2.0 publié par le_mardisien_masqué sur le site communautaire « l’atelier du mardi soir »

L'homme aux raisins secs...

Ma maman m’a mis au lit il y a très longtemps. Je le sais parce que le soleil s’est couché et on est en été. Le soleil se couche tard en été, mais lui il a le droit. Son papa et sa maman ne sont pas là pour le gronder. Je ne sais pas où ils sont, et mon papa et ma maman ne le savent pas non plus.
Je m’étais endormi, mais j’ai fait un mauvais rêve, et je me suis réveillé avec l’oreiller tout mouillé. Mes joues aussi étaient mouillées. Papa dit que ça s’appelle un « cauchemar ». C’est pas facile à dire. Mauvais rêve, c’est plus facile.
J’ai un peu reniflé pour que papa vienne me consoler, mais il est souvent en colère, quand je pleurniche comme un bébé. Il me dit que je suis un grand garçon, et que ça ne pleure pas pour rien, un grand garçon. Alors j’ai serré fort mon amour-peluche, à la place.
Il s’appelle Nyours. Il a une petite tête rigolote et des oreilles qui tombent à force de tirer dessus. Il est toujours gentil, et il est tout doux. Maman dit qu’il est « made in ailleursland », mais je ne sais pas où c’est. C’est sur la terre, ça j’en suis sûr. Peut-être au pôle nord, avec le papa noël.
Nyours, il me raconte des belles histoires qui finissent toujours bien, quand je suis triste. Il me parle des dragons qui crachent du feu, et des chevaliers avec des grandes épées. Parfois, je lui demande de me raconter des histoires de princesses, même si je suis un garçon.
Nyours a un peu baillé. Il s’est frotté les yeux, et il m’a demandé si je connaissais l’histoire de l’homme aux raisins secs. J’ai secoué la tête parce que je ne la connaissais pas, alors il a fait un bruit de caverne avec sa gorge, comme papa quand je lui pose plein de questions, et il a raconté son histoire.
« Il était une fois un vieil homme qui avait tout le temps l’air heureux. Il était si joyeux, du matin au soir et du soir au matin, toujours prêt à danser, à rire et à chanter, que ses voisins lui demandaient, un peu jaloux :
-          Quel est ton secret, toi à qui la vie semble sourire ? Tu n’es pourtant pas bien riche, ta femme est montée au ciel, tout là haut, tes enfants voyagent à travers le monde et ne te rendent presque plus visite. Comme fais-tu donc ? demandaient-ils.
-          Tu le sais, toi, comme il fait ? me demande Nyours de sa grosse voix d’ours.
J’ai encore secoué la tête pour dire que je ne connaissais pas le secret du vieil homme.
-          Comme il ne voulait rien dire à personne, a continué Nyours, ses voisins ont commencé à l’épier, à l’observer en cachette. Un soir, il était très tard, le boulanger a vu le vieil homme sortir de chez lui en traînant les pieds et la tête basse. Il portait un sac sur l’épaule et il avait l’air très malheureux. Ca lui arrivait donc, à lui aussi !
-          Et il allait où, le vieil homme, avec son sac ? Il partait en voyage pour retrouver ses enfants ?
-          Ne sois pas si pressé, je vais te le dire. Le boulanger, qui était très curieux, comme toi, a suivi discrètement le vieil homme jusqu’au bord de la plus haute falaise. En dessous, il y avait la mer et ses vagues blanches. C’était la nuit, mais la lune était belle, ronde et haute dans le ciel. Le vieil homme s’est assis sur un rocher, et il a ouvert son sac. Tu devines ce qu’il y avait, dedans ?
J’ai un peu réfléchis, et je me suis souvenu du titre de l’histoire.
-          Des raisins secs ! j’ai crié en levant les mains. Et qu’est-ce qu’il en a fait, il les a mangé ?
-          Non, petit glouton. C’était la marée haute, tu comprends, et les vagues venaient lécher les rochers de la falaise. Alors, un à un, le vieil homme a jeté dans l’écume tous les raisins secs qu’il avait mis dans son sac. A chaque raisin qu’il lançait, c’était une pensée malheureuse qui disparaissait. Quand son sac fut vide, le vieil homme rentra chez lui en souriant. Le lendemain, le boulanger raconta à tout le monde ce qu’il avait vu, mais personne ne voulut le croire.
-          Moi, j’y crois, à l’histoire du vieil homme aux raisins secs, j’ai dit à Nyours en hochant la tête.
Puis, j’ai eu une idée. Nyours dans les bras, je suis descendu de mon lit. A la cuisine, j’ai mis des raisins secs dans un bol, pendant que la baignoire se remplissait.
Quant l’eau est arrivé encore plus haut que pour le bain, j’ai coupé le robinet et j’ai fait faire des ploufs à tous les raisins, chacun à leur tour. C’était rigolo et je n’étais plus triste du tout.
Maman a allumé la lumière juste après le plongeon du dernier raisin. Elle m’a demandé quelle bêtise je fabriquais encore, avec une voix pas gentille. Mais c’est quand elle a vu tous les raisins et l’eau dans la baignoire, et aussi un peu par terre, qu’elle a été très en colère. Elle a demandé ce qu’on allait bien pouvoir faire de moi. J’ai répondu que je voulais être un pompier, pour sauver plein de gens dans le feu.
Normalement, elle rigole et me caresse les cheveux quand je dis ça, avec des yeux qui pétillent et qui la rendent très belle.
Mais elle m’a fait les gros yeux, pas du tout pour de faux, et elle m’a porté jusqu’à mon lit comme un paquet de linge sale. J’ai serré Nyours pour qu’il ne tombe pas. Il aurait eut trop peur, seul dans le couloir tout noir.
Maman m’a grondé, dans ma chambre. Elle ne voulait pas que je l’oblige encore à se lever, sinon ça allait barder. Moi, je n’aime pas quand elle est en colère, alors j’ai dit que je serais bien sage et je lui ai fait un bisou pour qu’elle soit moins triste, elle aussi.
J’ai regardé Nyours, j’avais les joues toutes chaudes et toutes mouillées. Il a recommencé à vouloir me parler d’un homme aux abricots secs, alors je lui ai fais des guillis et un câlin, pour qu’il oublie son histoire. Il s’est endormi dans mes bras très vite.
Chut, ne faites pas de bruits, vous allez le réveiller…

vendredi 15 octobre 2010

Porte close


Je t’ai tout balancé, ça y est, c’est fait. Sur une impulsion.
A ton retour du travail, les mots sont sortis, un peu dans le désordre.
On dit qu’on se sent plus léger, après, qu’on s’enlève un poids de la conscience.
On dit beaucoup trop de conneries. Parfois, il vaudrait mieux se taire, recouvrir ses fautes sous une chape de silence en béton armé et passer à autre chose.
Mais je t’ai déjà tout dit, c’est trop tard pour faire machine arrière, à présent.
Je t’ai parlé de la salle d’audience, au tribunal. De cet homme, un avocat je crois. Je ne me souviens pas de son nom.
Je ne me souviens que de la douceur de ses lèvres, des mensonges agréables auxquels il m’a fait croire, l’espace de quelques minutes, avant de s’éloigner sans même se retourner.
Je t’ai tout dis, et tu ne m’as pas regardé un seul instant. Tes doigts tripotent un stylo, tes yeux cherchent la lumière du soleil couchant.
Lorsque je me tais, j’aimerais pouvoir casser ta montre et son tic-tac agaçant. Peut-être cela te ferait-il réagir, au moins, et ce serait mieux que ce silence qui me fait me sentir moche. Crade.
« Tu crois que ça te salirais les oreilles, de m’écouter ? Je te demande une oreille, une seule, et c’est un mur que tu m’offres, une porte blindée sans même un trou de serrure pour écouter à travers. La porte de la prison que tu as bâtie autour de moi ! »
Je t’insulte, je te vomis à la figure toute la colère que je ressens contre toi, contre moi, contre le monde entier.
Je repense à toutes ces soirées passées à la maison, à regarder la télé alors que j’aurais voulu sortir, voir mes amies. Tu ne m’as jamais rien demandé. Je voulais te montrer que je t’aimais, je crois. Je ne sais plus. Est-ce que je t’aimais ?
Je me sens seule. Toi et ton regard fuyant.
Tu te lèves, plonges une main dans la poche de ton manteau avant de l’enfiler et de revenir vers moi. Je croise ton regard un bref instant, et je n’y vois rien, pas le moindre sentiment. Ni colère, ni tristesse. Rien que le vide absolu. J’ai envie de te secouer, de crier, mais j’ai la gorge nouée, rien ne sort.
Tu poses quelque chose sur la table, une boite noire, que tu ouvres d’un geste lent. Je ferme les yeux, le visage inondé de larmes. Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi pas hier, la semaine d’avant ? Il y a un an ? Peut-être la caches-tu dans ta poche depuis tout ce temps, à attendre le bon moment. Le bon moment, ça n’existe pas. Il n’y en a que des mauvais, ou des moins mauvais.
« Je voudrais que tu ne sois plus là à mon retour. Prends la bague, s’il te plait. »
Je ne veux pas que tu sois poli ! Je veux que tu m’engueules, je veux que tu te battes, contre moi, pour moi !
Mais on ne se bat pas pour un fantôme. Le passé, on l’enterre. Et dans tes yeux, le fantôme, c’est moi.
Je sens que j’étouffe déjà.
« Ne t’en vas pas. », je murmure, seule face à la porte close.
Le bruit de tes pas dans le couloir. L’ascenseur qui se referme. La voiture qui démarre.
Tu es loin, et j’ai froid, je tremble.
« Reviens… »

En toute confidence


Entre elle et moi, il y avait parfois un peu de gêne, comme entre deux amants d’un soir qui se découvrent collègues sans s’y attendre, le lendemain.
Elle m’avait longtemps tenu à l’écart de sa vie, refusant de reconnaître mon existence, l’influence que j’avais sur sa vie, sur ses actes. Elle se croyait forte, elle faisait tout pour se persuader d’être une working girl efficace, sur qui on pouvait compter. Les enfants ? Elle y penserait quand elle avait le temps. Plus tard, peut-être. Je prenais patience, elle ne pourrait pas me remiser au placard toute sa vie, et j’avais tout mon temps.
Elle m’a chassé par la petite porte, je suis revenu comme un voleur, par la fenêtre. Une diapositive oubliée pour un comité d’audit, un fichier qui disparaît du réseau au plus mauvais moment, une foule de petites choses qui ébranlent les certitudes les mieux ancrées. Et lorsque le doute commence à poser ses doigts glacés sur sa victime, il est bien souvent trop tard pour y remédier. Le mal est fait.
C’est ce qui m’a permit de faire un si brillant come back dans sa vie.
Elle me fuyait bien encore un peut, mais elle n’allait pas tarder à rechercher ma compagnie avec avidité. J’étais sa bonne excuse lorsqu’elle se trompait, son alibi, et ça me convenait très bien.
« Je suis désolée, je ne suis pas au top aujourd’hui », disait-elle alors pour se dédouaner. Quelle idiote. « Si vous avez le moindre problème, disait sa chef, n’hésitez surtout  pas à m’en parler».
Mais s’excuser en entreprise, c’est montrer aux autres sa faiblesse, tendre le bâton pour se faire battre. Donner aux autres des armes pour vous enfoncer à la première occasion. Je la regardais creuser sa propre tombe en souriant de sa touchante naïveté. Un bisounours au pays des requins, comme c’est adorable ! Espérance de vie dramatiquement réduite.
De mon côté, je me sentais en bonne compagnie, avec elle. Au chaud. Heureux. Elle croyait m’avoir adopté, alors que c’est moi qui l’avait choisis pour ses belles idées noires. Progressivement, elle s’est mise à négliger sa tenue, son maquillage, ses dossiers. Elle connaissait de plus en plus souvent des hauts, puis des bas. Une vraie petite montagne russe, au gré de ses prises et pertes de poids. Une girouette offerte au vent soufflant depuis la Direction, soumise au moindre appel d’air. Le fusible du service.
Je la croisais de plus en plus souvent aux toilettes, occupée à se remaquiller avec ferveur, comme une prière adressée au tout puissant Dieu des apparences. Les joues rouges, les yeux brillants, le nez qui coule. Une épave vermoulue qu’on repeint avant de la balancer à nouveau à la mer, au large. Pitoyable, mais si divertissant.
Puis un jour, je ne sais pas comment, je me suis retrouvé chez elle, dans sa petite chambre de bonne coincée sous les toits, au 8éme étage d’un immeuble Haussmannien. Un clapier à lapin qui sentait le renfermé et ne lui servait qu’à dormir.
Elle venait de perdre son travail, quand c’est arrivé. C’était à prévoir, elle avait dû oublier sa méta-amphétamine, ce matin là. Elle aura eu un coup de barre en réunion, peut-être craqué dans le bureau du DG. Je l’imagine en train de chialer comme une gamine, mouillant de larmes la moquette blanc cassé avant de renifler un grand coup. Elégant.
Elle a continué à croire à sa chance pendant quelques temps, même après ça. Elle se dopait à l’optimisme, se noyait dans ses illusions sans vraiment s’en rendre compte.
Elle a envoyé des centaines de lettres en quelques semaines, en a reçu quelques unes en retour. Elle a déchiré les dernières sans les lire. J’ai presque ressenti de la pitié à voir cette jolie poupée se dégonfler comme une baudruche, lorsque le dernier de ses amis à cessé de lui donner de ses nouvelles.
C’est à ce moment qu’elle m’a ouvert ce qu’il restait de son cœur effiloché, et que j’ai posé mes valises pour de bon. Elle était mûre pour ce que j’avais en tête.
Comme prévu, elle a très vite perçu en moi le substitut idéal à sa carrière professionnelle. Ca devait être plus flatteur à ses yeux, de se croire le centre de mon Univers, plutôt que de continuer à feuilleter en vain les petites annonces d’offres d’emploi. Elle s’est désabonnée de courrier cadres, elle n’y trouvait plus ce qu’elle y cherchait : l’illusion d’avoir un jour, prochainement, une bonne situation. Elle avait jeté aux orties son rêve de devenir responsable marketing d’un groupe de cosmétique, en même temps que la brosse à reluire qui allait si bien avec.
A la place, elle recevait le mensuel « Le détective amateur », et ses histoires de voisinages teintées rouge-sang. Ca cadrait mieux avec son humeur du moment.
Et puis surtout, elle m’avait, moi. Elle allait devoir s’y habituer, je n’étais pas prêt à la laisser tomber de si tôt.
Tapi dans l’ombre de sa retraite sous les tuiles, j’attendais avec impatience qu’elle rentre de ses promenades digestives, de sa visite au parc d’en bas. Elle y regardait jouer les enfants, tentant de sourire à leurs bêtises, leurs bousculades. Finalement, elle trouvait plus de sens à leurs pleurs, lorsqu’ils tombaient. Ils avaient ce petit côté réconfortant qu’aura toujours sur monsieur tout le monde le drame de la famille d’en face, de la ville d’à côté, du pays voisin. Elle ne faisait pas exception, en pur produit de la société qui l’avait vu naître et grandir.
Du parc, elle a progressivement dérivé jusqu’au bar-brasserie du coin de la rue. Du capuccino avec supplément latte, elle est passé au café serré – cognac, puis au whisky, sans glaçons s’il vous plait.
Jusqu’à préférer passer ses soirées affalée au comptoir, à contempler le cul des bouteilles vides, plutôt que de perdre ses matinées à mater celles du livreur de journaux lorsqu’il passe près du parc. A 8h43, elle s’en souvenait encore. Ou bien à 7h30 ? Tout devenait beaucoup trop compliqué pour sa jolie petite tête, après quelques verres.
Pour la distraire, je lui ai suggéré quelques lieux branchés, des discothèques aux noms exotiques qui fleuraient bon l’interdit et le rassemblement communautaire. Elle y allait seule et rentrait à pied, au petit matin, la tête rendue légère par les petites bulles de plaisir que des galants de passage mettaient dans ses verres, avant de la mettre dans leur lit.
Je ne me sentais pas trahi, bien sûr, car dès qu’elle refermait la porte de l’appartement et qu’elle se laissait chuter sur le matelas, je l’entourais de ma présence et m’arrangeait pour qu’elle n’ait plus que moi en tête. Moi, son unique, réelle, obsession. Sa douce folie.
Et puis un jour, elle n’est plus sortie. Elle s’est regardée dans la glace et a eu un comme un mouvement de recul, un hoquet de stupeur. Cheveux défaits, mine hâve, des poches sous les yeux qui auraient pu contenir tout Paris et la petite couronne en guise de cernes. De loin, on aurait pu croire à un eye-liner tirant un peut trop sur le noir.
Elle a refermé le loquet sur le monde extérieur, s’est assise sur une chaise, face aux volets clos. La lumière du soleil infiltrait ses doigts par de trop rares interstices, faisant voler la poussière dans toute la pièce.
Elle est restée là toute la journée, le regard perdu au loin, la tête dans du coton. Je me suis dit que j’allais la perdre, très bientôt. J’ai beau avoir l’habitude de ce genre de situation, je ne vois jamais rien venir. Je suis naïf, moi aussi, que voulez-vous, j’ai trop tendance à penser qu’elles m’ont dans la peau, qu’elles ne peuvent pas se passer de moi. On ne se refait pas, et j’ai appris à m’accepter comme je suis, depuis le temps.
Elle se levait encore avec la régularité d’un métronome déréglé pour aller vider le frigo. Le dernier plat tout préparé, puis la dernière brique de lait mélangée d’une poignée de céréales. Quelques gâteaux d’apéritifs cachés derrière le canapé. Un morceau de pain dur retrouvé sous l’oreiller. Les fonds de bouteille y passèrent également.
Pour ne pas se voir telle qu’elle était, elle avait recouvert tous les miroirs avec des serviettes de bain. Elle préférait coller son œil au goulot et s’imaginer pirate, exploratrice, vigie d’un Galion.
Le frigo vide, l’appartement mis à sac de la moindre trace de victuailles et de boisson, elle s’était finalement décidée à sortir faire les courses. Son visage était pâle mais décidé. Elle marchait droit, ou presque, pour la première fois depuis plusieurs jours. Elle venait de dormir plus longtemps que d’habitude et elle avait dû pas mal cogiter dans son sommeil. La nuit porte conseil, c’est bien connu. Je ne reconnaissais plus ma colombe aux ailes cassées.
Elle a refermée la porte derrière elle, esquivant mon regard en me laissant en plan. J’ai imaginé pouvoir la retenir.
Elle n’est pas rentrée.
Le lendemain, dans les journaux, s’étalait à la une le récit d’une vie gâchée, d’une vie achevée. Il y avait une photo. Je l’ai reconnue à ses bouclettes brunes, à son joli sourire du début. J’ai aussi reconnu la station de métro, le sang de ses magazines de détective.
Je ne l’avais pas vu venir, ce métro, il m’avait joliment volé la vedette, le salop.
C’est dommage, on avait fait un bon petit bout de chemin ensemble, elle et moi.
On aurait pu aller plus loin, j’en suis sûr.
Elle avait du potentiel, sous ses airs bougon, son allure de fière petite dinde de noël. Elle savait me lâcher la bride, moi, sa déprime. Sa mélancolie, son spleen idéal.
Son désespoir du quotidien.
Son petit drame rien qu’à elle.
Elle devait être heureuse, à présent. Les journaux lui avaient consacré leur une, que pouvait-elle demander de plus ?

jeudi 23 septembre 2010

Dans les nuages égarés

Encore une nouvelle un peu plus longue que la moyenne (environ 30 pages).

J'y raconte l'histoire de Tama, adolescent embarquée à bord d'un Galion volant, suite à un véritable déluge qui a noyée la terre sous la mer.

Depuis, le Galion "l'Insoumis" et son Capitaine sont à la recherche des dernières terres encore émergées.

A lire avec les yeux?

Texte copieusement modifié. Pour celles et ceux qui l'ont lu avant le 01/10/2010, n'hésitez pas à le relire. Il est passé de 27 à 43 pages, ce qui est assez conséquent comme changement.

Suivez le lien: dans les nuages égarés

lundi 20 septembre 2010

Le futur derrière soi

Odeur du temps qui passe et assèche tout, odeur de noix broyées et écrasées, brûlées par les ans.
Résistance autour de mon corps, membrane ferme et douce à la fois, contre laquelle je m’appuie en m’étirant et qui disparait soudain au toucher, comme un glacis fragile posé sur du vide, un couvercle posé sur un chaudron, et d’où je m’extirpe lentement.
Chaleur de la boue qui éclate en gros bouillons, tournoie autour de mes jambes encore tremblantes, qui me supportent tout juste, tout juste.
Lumière. Clarté éblouissante du soleil. Aveuglement d’un sens, un seul.
L’enfant crie, à mes pieds. Vagissements terribles d’impuissance et de douleur mêlés de cet être à la vie encore fragile, et qui s’époumone, et qui tire une langue affamé à la face du monde qui vient de l’accueillir. Pourquoi, comment ?
Une sensation qui éclipse vite les autres, impérieuse, dominatrice. Un être si petit vous force à prendre conscience de son existence, impossible de l’ignorer plus longtemps, impossible…
Je reste Immobile dans ces collines rocailleuses qui nous ont fait naître, lui, moi, sans rien demander à personne. De cette mare boueuse, noirâtre, ce chaudron bouillonnant a jaillit la vie, par un miracle incompréhensible.
Des mots que je ne comprends pas résonnent dans mon crâne. Merias, mon nom. Sairem, celui du bébé. Nés le même jour, nous sommes jumeaux.
Lentement, je déploie mes bras, mes jambes. Fatigué, le corps perclus de courbatures et de rhumatisme. Brisés, les os de tout mon squelette. Je me sens usé par les ans.
Mon regard plonge dans les yeux bleus du bébé, ils me renvoient l’image d’une peau parcheminée, de tendons qui saillent. Mes yeux azur semblent la seule partie de moi encore en vie. L’impression d’être un miroir en train d’en contempler un autre domine mes pensées.
Vent qui se lève, balaye mes pensées et me fait reculer. Un véhicule descend sur nous, plane au dessus du sol en soulevant la poussière en un grand nuage sec, aride. Des hommes vêtus de noir s’en déversent, se saisissent de l’enfant et repartent. Seul avec mon lac de boue, je reste là, le regard trouble, perdu.
Je les regarder s’éloigner à l’horizon, puis je saisi d’un geste vague un petit caillou perdu là, comme un appel au secours. Penché en avant, la pierre tourne dans ma main avant de fuser sur la surface du lac. Je compte les ricochets, un, deux, trois, dix, elle s’enfonce dans la boue dans un bruit de succion. De pierre, elle devient cercle qui se propage, se diffuse à la masse noirâtre et me dépasse, sans un bruit.
Le cercle atteint l’autre rive, revient vers moi, se heurte à lui-même. De petits clapotis se forment, brisent pour quelques secondes la magie du silence.
Mon dos se redresse, mes bras semblent se dénouer, devenir plus agile. Je suis une marionnette dont le maître vient de se rappeler l’existence. J’en oublie le temps qui passe, qui passe, qui découpe ma vie en lamelles fines, pour mieux les ausculter, les disséquer.
La machine est revenue, aujourd’hui. Ils se sont posés, lentement, délicatement, ils ne voulaient rien perturber. Les hommes en noir descendent, s’avancent vers moi, et je m’élance à leur encontre pour qu’ils m’emmènent, qu’ils ouvrent l’horizon devant moi, à mon tour. Mais leurs yeux glissent sur moi, m’effleurent, sans me toucher jamais.
Leurs bottes claquent sur le sol rocailleux. Un adolescent, nu comme au premier jour, s’approche à son tour du lac à la boue couleur néant. Son regard cherche quelque chose, hésite et lentement, posant un pied devant l’autre avec prudence, il pénètre dans le chaudron. Je ralentis ma course folle, je marche, je m’arrête pour l’observer, le contempler.
Ses yeux bleus couleur azur rient, il semble soulagé, il m’a vu. Son haleine enveloppe mon corps, son front caresse le mien, son odeur me ramène en arrière, l’espace d’un instant me fait remonter le temps.
Je suis cette onde qui revient en arrière, tu es celle qui va de l’avant. Aujourd’hui nous nous touchons enfin, aujourd’hui nous nous retrouvons.
De deux, nous ne faisons plus qu’un, le passé et l’avenir mêlés.

La page blanche


C’est la nuit après mon départ, que ma mère lui a tout dit. A son âge, encore se mêler de ce genre d’histoire, franchement, quelle vieille bique !
Elle fait partie de ces gens qui croient qu’il faut tout casser, pour reconstruire, c’est pour ça qu’elle a tout déballé, dans les moindres détails.
Pas de circonstances atténuantes dans son discours, j’en suis sûr. Je la connais par cœur, comme si je l’avais fait, sauf que c’est l’inverse qui s’est produit.
Je m’en fous, c’est trop tard, le pont je l’ai coupé derrière moi. Parfois, on devrait dire « telle mère, tel fils », je ne pourrais pas supporter l’idée d’avoir laissé autre chose que des villes fantômes dans mon dos, dans mon passé.
La fille de la gare n’était peut-être pas vierge, mais aujourd’hui, moi, je m’apprête à l’être à nouveau. Page blanche, livre ouvert, avec le stylo dans la main. Je m’étais dis, « tu vas voir, c’est plus facile comme ça ». C’est alors que le train m’emporte avec lui que je me rends compte à quel point je me trompais. C’est loin d’être facile.
D’ailleurs, qu’est-ce qui est facile, dans la vie, à part commettre des erreurs ? Même s’oublier ne l’est pas. Encore faut-il savoir ce que l’on veut oublier, et même l’avoir sacrément bien en tête.
C’est comme une image en arrière plan, une vidéo en trame de fond. Une bande son, un piano qui joue en sourdine, au milieu du restaurant. C’est elle, c’était elle, plutôt. Les gens changent, c’est peut-être moi qui ait changé, au point de vouloir tout effacer, repartir de zéro.
Je ne sais même pas où va le train. J’ai acheté un billet sans regarder, j’ai tiré au sort le quai sur lequel je me suis aventuré. Il ne manquerait plus que je sois dans le bon train !
Pire encore, je pourrais être dans SON train. Elle serait dans le wagon suivant, en train de penser à moi.
Non, impossible.
Penser à autre chose.
Je suis une page blanche, il faut que je me focalise sur cette pensée, que j’en fasse mon leitmotiv, ma locomotive.
Quelque chose me distrait, me tire de ma rêverie. Au dehors, le soleil se couche et la lumière se fait violente, aveuglante pour mes yeux devenus trop sensibles avec l‘âge. Je sens comme une vague humidité dans l’air, un soupçon de regret dans l’atmosphère. Autour de moi, ce ne sont que têtes baissés, passagers endormis tassés sur leur banquette
Je reste seul éveillé, seul avec moi-même, avec ma page blanche qui ne veut pas venir, pas encore.
Il faut pourtant que je le fasse avant de me poser la mauvaise question. Il faut que je le fasse avant d’avoir le temps de me demander « pourquoi » je dois le faire. Sinon, tout recommencera comme avant.
Je dois faire table rase, je dois faire place nette, sans quoi, ma page blanche restera un doux rêve éveillé, sans consistance, sans lendemain. Et moi, ma page blanche, je l’aime déjà, je veux la voir naître. C’est mon bébé, mon trésor. Le plus beau cadeau, peut-être le seul cadeau, que je puisse me faire.
Mais une page blanche à la fin d’un livre, ce n’est pas une page blanche. C’est juste une page de plus que l’auteur, ou l’éditeur a oublié de noircir. I faut qu’il n’y ait plus rien, avant. Place nette, je l’ai dis. Place nette.
Ma main se glisse dans mon manteau, la poche intérieure. J’en ai décousu le fond, j’en sors la petite manette blanche, le joystick comme ils disent, les jeunes. Il est relié par un fil à quelque chose, glissé dans la doublure. Le fameux cadeau, celui que j’ai décidé de m’offrir, ce soir.
J’ai le bouton de la manette bien calé sous mon doigt, je n’ai plus qu’un geste à faire, je sens que j’hésite, la question que je ne veux pas me poser me brûle l’esprit, la langue, les lèvres.
J’appuie. Non, je crois que j’appuie, il ne se passe rien. Mon cerveau a bien envoyé l’ordre, mais il a dû s’égarer en chemin, entre le cortex et les muscles de mes doigts.
J’inspire à fond.
Je me relâche.
J’inspire à nouveau.
J’appuie.
Le monde explose, le livre brûle.
Je l’ai, ma page blanche, ça y est.

Chasse à l'homme et balles perdues


Jessy était assise à la terrasse d’un café. Elle avait commandé un jus d’orange et le sirotait tranquillement, une main sur la crosse de son arme, un vieux pistolet de cowboy rapporté des États-Unis. Son employeur d’un jour lui en avait fait cadeau, en même temps que l’argent de la prime.
De temps en temps, elle le sortait de son holster pour faire des moulinets autour de son doigt, avant de le rengainer d’un geste souple, trahissant une longue habitude. Son visage était décidé, son regard sombre montrait en elle une baroudeuse, qui ne se lassait pas démonter par l’adversité.
Elle observait avec la plus grande attention un sinistre individu attablé à un restaurant, de l’autre côté de la rue. Il n’avait encore rien commandé, il venait d’arriver. Il portait un grand chapeau, presque un parasol, et un poncho vert vif.
Ses couverts, posés sur une serviette en papier, attendaient qu’il daigne s’en saisir.  Deux verres se faisaient face sur la table, on aurait dit qu’ils faisaient le poirier pour passer le temps.
Un géant se pencha vers Jessy en désignant son flingue.
-                  Faut vraiment être une gonzesse pour avoir un gun rose !
Il partit d’un rire gras, moqueur, que ne supporta pas la chasseuse de primes. Elle haussa un sourcil, dégaina en un éclair et appliqua le canon de son arme sur la gorge du géant malpoli.
-                  Tu crois que mes balles sont roses, pauv’ mec ? Tu veux qu’on vérifie ?
-                  Pas la peine de t’énerver, je blaguais ! s’excusa le malotru en levant les mains. On aurait dit un joueur de foot qui vient de faucher l’attaquant adverse par derrière, et qui cherche à éviter que l’arbitre ne voit rouge.
-                  Dégage, tu m’fais de l’ombre, souffla Jessy.
L’autre ne se fit pas prier et s’éclipsa rapidement. Jessy jura et se leva d’un bond. C’était une diversion ! Le gars du restaurant en avait profité pour se tirer, et elle n’avait rien vu venir !
-                  Je me suis fait avoir comme une bleue, maugréa-t-elle en tournant la tête en tous sens dans l’espoir de retrouver la trace de sa cible. 5 000 $ pour sa tête, et il faut qu’un grand connard vienne me faire foirer mon coup !
Serrant les dents, elle traversa la rue. C’est alors qu’elle aperçu un éclair vert vif, au détour d’une ruelle, une centaine de mètres plus loin.
-                  Toi, mon gaillard, tu ne m’échapperas pas comme ça. Tu ne perds rien pour attendre.
Jessy connaissait la ville par cœur, elle savait où menait forcément la rue que venait d’emprunter l’individu au poncho vert. Bousculant les touristes amassés à la terrasse, elle se rua vers une allée adjacente et la remonta au pas de course. Un virage à angle droit, une série de petites marches qu’elle dévala 4 à 4, elle déboula comme une furie face à sa proie, figée par la surprise.
Le temps sembla s’arrêter. Jessy caressa de la main la crosse de son arme fétiche. D’un doigt, elle suivit les contours du cheval qu’elle avait fait coudre sur son holster. C’était une sorte de rituel, pour elle, juste avant la capture. Ca ne loupait jamais. Personne ne lui échappait, après qu’elle eut fait ce geste.
-                  Tu es foutu, crapule, murmura-t-elle.
Mais l’autre s’était déjà ressaisi. Lui aussi, il avait passé un doigt nerveux sur le côté de son holster noir. Jessy se rendit compte avec stupeur qu’un cheval y était dessiné, avec des clous argentés. Celui qui se faisait appeler « l’acrobate » était-il son frère ? Lui seul pouvait avoir choisi un tel emblème !
C’était la marque de fabrique de la famille Karan, dont faisait partie Jessy. Ce front dégagé, ces pommettes hautes, ce nez qu’elle lui avait cassé lorsqu’ils étaient encore tout gamins…
-                  Grand frère, c’est bien toi ?
-                  Ca te surprend, Jessy ? C’était écrit, nos destins devaient se croiser à nouveau. Tu suivras père et mère dans la tombe, fillette.
-                  Non ! C’est toi qui mourras aujourd’hui, Garret. Je me fiche des 5000$... J’aurai ta peau, je vengerai nos parents de ce que tu leur as fait subir. Prépares-toi à mourir, salopard !
Ils se firent face, reculant chacun de 20 pas. Ils semblaient avoir tous les deux accepté la mort comme compagne et ne la craignaient plus. Le silence se fit, pesant, douloureux. Le soleil déclinait dans le ciel, les baignant dans une ombre crépusculaire. L’un d’eux allait mourir, ce soir, et Jessy savait que ce ne serait pas elle.
D’un geste vif, elle lança une pièce vers le ciel. Garret resta concentré sur Jessy, ses yeux ne cillèrent pas, il était prêt, lui aussi.
La pièce tournoya sur elle-même, produisant un léger « woum-woum-woum » dans le silence tendu. Elle monta comme à regret dans les airs avant de retomber, décrivant une lente parabole qui s’acheva dans la poussière de la rue.
Jessy dégaina, aussitôt imitée par Garret. Les balles fusèrent, la fumée noire dégagée par leur arme en pleine action se fit lourde, épaisse, masquant les deux combattants en une fraction de seconde à peine.
Un râle s’éleva, on aurait dit la plainte d’un coyote en train de mourir dans le désert.
Un choc sourd y succéda, le bruit mou d’un corps qui chute et reste immobile, au sol.
Une arme décrivit un moulinet autour d’un doigt habile, avant d’être rangée dans son holster de cuir dans un seul geste fluide.
Jessy sortit alors de la fumée, un sourire carnassier sur le visage tandis qu’elle s’approchait de son frère. Il était encore en vie, il tentait de s’éloigner en rampant mais d’un bond, Jessy se projeta sur son dos, le plaquant au sol avec violence. Elle lui ramena aussitôt les bras en arrière, l’immobilisant complètement, avant de lui passer les menottes.
-                  Tu croyais vraiment que j’allais te tuer, Garret ? lui chuchota-t-elle à l’oreille. La mort, ce serait trop facile. Tu mérites de souffrir autant que moi. J’y veillerai, fais-moi confiance. Je suis ta petite sœur, après tout, et j’ai tout appris de toi.
-                  Eh, tu m’as fait mal ! s’écria soudain le garçon d’une voix aigüe. Maman, Myriam m’a fait mal ! Arrêteuuuuuuuuuuuu ! Aye aye aye…
Il commença à pleurer en tentant de se dégager. Myriam se leva brusquement lorsque sa maman jaillit de la cuisine telle le diablotin hors de sa boite.
-                  Qu’est-ce qui se passe, encore ? Myriam, enlève lui les menottes tout de suite, tu vois bien que tu lui fais mal aux bras !
-                  Ben, c’est que… hésita la petite fille en regardant ses pieds d’un air coupable…
-                  C’est que quoi ? insista sa mère, hurlant encore plus fort pour couvrir le bruit des pleurs du petit frère.
-                  C’est qu’on les a perdues, les clés. C’est Camille qui les a perdu, c’est pas de ma faute. C’est de sa faute, à lui, insista-t-elle en pointant du doigt le coupable malheureux.
En soupirant, la maman se pencha vers Camille et appuya sur un petit crochet, à la base des menottes. Elles s’ouvrirent avec un petit déclic et le garçon se releva, se frottant les mains tout  en continuant de pleurer avant de se réfugier dans les bras qui s’offraient à lui. Havre de paix dans ce monde de brutes.
-                  T’es vraiment trop méchante, Myriam, chouina-t-il en lui jetant un regard noir.
-                  Oui, et ben puisque c’est comme ça je jouerai plus jamais avec toi ! Tant pis pour toi, je jouerai avec Thomas, lui il pleure pas comme un bébé pour rien.
Aussitôt sa phrase assassine prononcée, Myriam tourna les talons et se dirigea vers sa chambre, la tête haute. Elle en referma la porte rageusement, la faisant claquer avec force et peu à peu, le calme revint dans l’appartement. Comme s’il ne s’était jamais rien passé.

jeudi 2 septembre 2010

Trafic international

Ce petit texte de 8 petites pages est tiré d'un dessin de Jop, comme souvent ! :)

Je vous le laisse découvrir. Il y est question, comme le nom l'indique, d'un trafic international.

Trafic de quoi? Vous le saurez en suivant le lien: Trafic International

samedi 28 août 2010

Alors, dansons...

Je vous présente le dernier né des productions Scalp & Cie !

Il s'agit d'une nouvelle d'espionnage et de course-poursuite, de gros flingues et d'armes secrètes (il y a même une ravissante demoiselle).

Il fait 23 pages, et je viens tout juste de finir de le relire/corriger.

Bonne lecture, et à vos stylos pour vos commentaires !

Pour lire "Alors, dansons...", cliquez sur le lien, tout simplement ! :)

mercredi 25 août 2010

Dans la Montagne


La créature étendait ses lourdes volutes sur le versant Ouest de la montagne. L’ombre des arbres qui l’entouraient la protégeait des ondes chaudes de ce curieux globe jaune, haut-perché au dessus de l’immensité bleu-azur.
Elle se sentait en paix, goûtant, dégustant de tous ses sens l’infinité de nuances de blanc de la masse neigeuse. Sa folle jeunesse était derrière elle, à présent, et elle s’était sentie fatiguée d’avoir dévalées et remontées tant et tant les pentes abruptes de son vaste domaine, à la poursuite de ces odeurs cuivrées, de ces douces fragrances au savoureux goût de métal grisâtre et de matière organique rose pâle qui faisait son régal.
Cela faisait longtemps, à présent, qu’elle n’avait plus ressenti le plaisir intense de ces longues cavalcades, de ces pentes avalées dans un soudain grondement. Elle s’était posée là, plus haut que jamais auparavant avec le vague objectif de récupérer des forces, de redonner à son vaste corps le volume perdu, dévoré par l’astre d’Or lorsque, arrivée tout en bas, presque au niveau de la vallée, elle se retrouvait face à face avec ces larges champs verdâtres, menaçants. Là, privée de la protection des arbres et de leur ombre bienveillante, elle avait sentit plus d’une fois ses forces décliner jusqu’à ce qu’elle parvienne à remonter la pente de la Montagne et à retourner se mettre à l’abri.
Bien calée dans son cocon de fraîcheur, proche du plus haut des pics enneigés, la créature s’était d’abord réjouie de voir la brume cotonneuse et blanche de son corps s’épaissir tant et plus. Mais à présent, elle ressentait comme un manque lancinant l’absence de toute forme d’excitation, de sentiment intense d’aventure, de frisson de plaisir.
L’idée avait germée en elle et ne la quittait plus, l’empêchant de retourner au doux sommeil et à l’observation de cet étrange et mystérieux ballet là haut dans le ciel, succession de chaleur mordorée et de fraîcheur sombre, teintée de scintillements blancs, pâles et froids.
Aujourd’hui, la créature frémissait d’impatience, d’excitation difficilement contenue. Le vent jouait avec son corps en s’enfonçant avec un long mugissement entre les rangées d’arbres, charriant en même temps une odeur cuivrée, brune, qu’elle reconnaissait entre toutes.
Surprise de n’avoir pas eu besoin de se rapprocher de la vallée pour y chercher sa proie favorite, elle huma l’air en se redressant à demi. Elle était à l’affut, et pourtant lorsque l’odeur se fut suffisamment rapprochée, la créature dut se faire violence pour ébrouer son corps puis le soulever péniblement, douloureusement, l’arrachant progressivement du sol auquel elle s’était intimement lié au cours de son long repos.
Lorsqu’elle put enfin se lancer sur les traces des effluves désirées, elle se rendit compte qu’elle avait trop tardé. Déjà, la proie se faisait ombre, vague bouquet d’arômes ténu dans l’atmosphère glacial de la Montagne, et elle devait se concentrer pour ne pas en perdre tout à fait la trace
Les arbres défilant à toute vitesse de chaque côté de son corps massif, la créature louvoyait autant qu’elle le pouvait entre les nombreux affleurements rocheux pour éviter que son corps ne s’effiloche, ne se divise progressivement au fil de la poursuite. Elle devait faire appel à des souvenirs profondément enfouis dans sa mémoire, presque oubliés au cours de son long sommeil.
Slalomer entre les crevasses presque invisibles qui parsemaient la paroi de la Montagne, s’envoler soudain dans les aires quelques courtes secondes, humer l’air à la recherche d’une fragrance si particulière… C’était ça, la poursuite, et la Créature n’en avait jamais connue de plus belle et ne cherchait plus à contenir la joie explosive, physique, qui l’animait enfin, après toutes ces années de silence et de calme repos.
Grisée par sa course, enivrée par la vitesse, la créature accéléra encore et parvint finalement à se rapprocher de la source de l’odeur entêtante, obsédante. Elle ne désirait plus qu’une chose, ne pensait plus qu’à une chose, entremêler ses propres fragrances à celles, si parfaites, de sa proie.
Plus d’une fois encore, l’effluve rougeâtre, doucereuse, métallique, faillit lui échapper au détour d’un chemin, à la suite d’un virage un peu trop abrupte ou d’un croisement mal négocié. Mais toujours, la Créature rattrapait son retard, comblait la distance qui la séparait de la cible qui s’était imposée à elle.
Un temps, elle eut peur d’avoir perdu son savoir-faire. L’astre d’or l’agressait de ses chauds rayons et elle sentait son corps perdre de sa masse, fondre progressivement, lui occasionnant une douleur sourde, lancinante. Soudain, elle eut peur et songea à rebrousser chemin. Mais elle avait fait trop de chemin pour renoncer aussi près du but.
La pente devint soudain plus douce, la senteur se vit plus présente, confortant la Créature dans son choix. Bientôt, elle pourrait absorber en elle la fragrance cuivrée, l’accueillir au sein de son corps afin de s’en délecter pendant de longues heures, de longues journées.
Désormais, elle distinguait parfaitement l’être qu’elle pourchassait. Comme toutes les autres proies de ses chasses, il était petit, tellement plus petit qu’elle. Ses pieds démesurément allongés traçaient 2 sillons parfaitement parallèles dans la neige, tandis que ses bras, semblables à deux longues tiges, dépassaient de son dos, comme s’ils voulaient menacer la Créature qui les pourchassait sans relâche. Sa tête dépassait à peine de son dos, boule grisâtre aux reflets métalliques qui reflétait les rayons de l’Astre de Chaleur.
Au dernier moment, alors que la Créature sentait ses doutes revenir, la proie finit par commettre une faute, basculant sur le côté et s’écroulant au sol dans un cri rauque, dans un grand brouillard neigeux. Elle fut aussitôt submergée, engloutie par la masse énorme du Chasseur qui se jeta sur elle dans un formidable grondement.
Emportant avec elle le corps si frêle de sa Proie, la Créature put enfin déguster à sa guise les effluves métalliques, mêlées d’exhalaisons organiques tellement plus savoureuses encore. Son bonheur était à son comble et elle vibrait de tout son être, un rire silencieux la secouant jusqu’au plus profond de son cœur par grandes vagues presque douloureuses.
Toute occupée  son festin, la Créature ne s’aperçut pas tout de suite que la poursuite acharnée qui venait de s’achever l’avait menée plus bas dans la vallée qu’elle n’avait jamais osé s’aventurer.
Partout autour d’elle s’étendait une vaste étendue herbeuse. Lorsqu’elle comprit quel terrible faux-pas elle avait commis, en s’obstinant à pourchasser sa Proie, il était trop tard. La première coulée de neige était trop éloignée et la chaleur quasi-insoutenable attaquait déjà le cœur même de la Créature, directement au travers des maigres volutes neigeuses qu’elle tenait encore rassemblées autour d’elle.
Prise au piège, elle sentit son corps achever de se liquéfier, ne laissant sur le sol que son noyaux difforme, aux longs membres couverts d’une douce fourrure blanche. Ses dernières forces l’abandonnèrent alors, ses pensées se figèrent sur un ultime regret, laissant place au silence de la mort.
Le lendemain, la photo de l’étrange Créature faisait la Une des journaux Savoyards du coin. Tous titraient, d’une seule voix, sur la même question sans réponse.
« Un Yéti découvert à Valloire ! L’un des nombreux effets du réchauffement climatique ? Lire notre article en page 3 »

mardi 24 août 2010

Se couper les tiffs


 Pour le dessin de Jop à associer au texte ci-dessous, cliquez ICI !
Il y a 3 dessins à prendre en considération, cette fois-ci. Il faut commencer par celui d'en bas (le personnage assis sur une chaise, en train de se couper les cheveux à grands coups de ciseaux)
Dessin by JOP, texte by Scalp

Se couper les tiffs, c’est pas facile…
Ca a commencé… Attendez, que je me rappelle…
Ah oui.
Ca a commencé lorsque j’ai voulu me couper les cheveux. Tout seul.
J’avais les cheveux trop longs. Ca piquait un peu les yeux, et puis, ce n’était pas pratique pour regarder les filles. Alors un jour, j’ai pris mon courage à deux mains.
Je me souviens, j’étais dans la salle de bain. J’ai tourné le dos au miroir, il me faisait peur, avant même les premiers coups de ciseaux. J’ai empoigné mes cheveux par mèches épaisses, j’ai coupé dans le vif sans trop réfléchir. Ca faisait un tapis par terre, ça me chatouillait les pieds.
Avoir les pieds chatouillés, c’est plus sympa que d’avoir des pointes de cheveux dans les yeux, j’avais donc encore bon espoir, tout se passait bien.
Très vite, j’ai eu des cheveux jusqu’aux chevilles. C‘est là que je me suis dit que j’avais assez ratiboisé ma chevelure comme ça.
Je n’ai pas regardé le miroir. Il me faisait encore plus peur qu’avant.
Le lendemain, maman m’a accompagné à l’école. Je me suis bien douté de quelque chose quand j’ai vu Jo se moquer de moi. Je suis sûr que c’est de moi qu’elle se moquait. J’ai regardé derrière, devant, partout, et il n’y avait personne d’autre sur le trottoir.
Je m’en fiche, c’est un garçon manqué. La preuve, elle aime le foot. Na.
Et puis je m’aime bien, comme ça. Le vent ne me décoiffe plus. Le vent me rafraîchit beaucoup plus vite quand il fait chaud.
Le plus beau, dans tout ça, c’est que je bronze du crâne !
Du coup, j’ai un succès fou auprès des filles. Même Jo a changé d’avis, après avoir pris quelques jours pour s’y habituer.
Voilà, vous savez tout. C’est comme ça que tout a commencé.
Depuis, je vois des tas de gens dans la rue qui me ressemblent, la tête massacrée à coups de cisailles !
Quand j’y pense, ça me fait pleurer de plaisir !
Après tout, je viens quand même de lancer une nouvelle mode.
Et vous, êtes vous avec moi ?

Petit voyage au bout du monde...


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Dessin by JOP, texte by Scalp

La Normandie, c’est chouette. Mais pas autant que la Corse, même si les vagues  y sont plus… Vaguelantes ? Vivantes ? Déferlantes ?
J’aime bien la Normandie quand même.
Là bas, c’est le monde à l’envers, dans ma tête : les mouettes  nagent dans une mer d’un bleu profond, dans une eau limpide, sans nuages. Enfin, quand il fait beau, bien sûr ! ^^’
Là bas, aussi, le ciel est couvert de vagues écumantes, de gros rouleaux qui font comme une couverture jusqu’à l’horizon, et plus loin encore.
Là bas, je peux toucher le ciel.
Il s’effrite sous mes doigts.
Quand je le saisis, il s’écoule de mes doigts vers le haut dans un léger chuintement… schhhhhhhhhhhhhh…
Parce que là bas, le ciel, c’est comme un gigantesque sablier, mais qui nous montre juste que le temps s’est arrêté.
Là bas, le ciel, il est jaune d’un côté et on peut marcher dessus avec les mains, et bleu et blanc de l’autre, et il mouille, il est froid. Brrrrrrrrrrrrr…
Là bas, mes jambes s’agitent vers le sol sans jamais le toucher, et le bas de mon T-shirt vient me chatouiller le menton. C’est drôle !
Là bas, je me détends.
C’est renversant, non ?

Parapluie-douche

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Dessin by JOP, texte by Scalp
Mon embarcation filait dans les eaux tumultueuses du grand fleuve Amazone. J’étais seule dans ma pirogue, luttant avec ma petite pagaie pour me maintenir au centre du fleuve, loin des dangers qui en peuplaient les rives.
Les premiers jours, plusieurs des membres de l’expédition ont péri sous le feu croisé de plusieurs tribus indigènes. Des petites fléchettes, à la pointe  probablement empoisonnée, avaient décimée notre groupe.
Par la suite, des roches affleurant à la surface avaient renversée une embarcation, projetant ses occupants dans l’eau. Des crocodiles, qui paressaient sur les rives, s’étaient dirigés vers le fleuve, paresseusement. Ils avaient finalement été devancés par une multitude de poissons aux dents aiguisées. Des Piranhas, devais-je apprendre plus tard.
Puis, la maladie avait emporté les derniers de mes compagnons, et je m’étais retrouvée seule, sur la plus petite des pirogues, avec seulement quelques jours de vivres. Très vite, j’avais perdu la carte qui devait me mener au trésor, et depuis je naviguais droit devant moi, au hasard des embranchements et des bifurcations qu’empruntait le fleuve millénaire.
Tout en songeant à mon destin, de plus en plus probable, je commençais à entendre un grondement sourd dans le lointain. Songeuse, je me demandais ce que me réservait encore l’avenir, et par quelles péripéties je devrais encore passer avant de connaître la fin de l’histoire.
Soudain, un tronc d’arbre creva la surface du fleuve à seulement quelques mètres devant moi. Il était trop tard pour l’éviter complètement, et les branches raclèrent contre le côté de ma pirogue. De l’eau commença à s’infiltrer, mais très lentement, presque au goute à goute. Le trou devait être très réduit, j’avais peut-être encore une chance de m’en sortir.
Le contact avec l’arbre m’avait envoyée tournoyer et je parvins de justesse à me retenir de vomir. Par chance, j’étais restée à peu près au milieu du fleuve, et je finis par stabiliser ma pirogue après un effort violent porté sur ma pagaie.
Le grondement sourd s’était rapproché, et je distinguais un nuage d’écume quelques centaines de mètres plus loin, vers l’avant. De la brume se répandait sur toute la largeur du fleuve, bloquant progressivement toute visibilité.
Le grondement était assourdissant, à présent, et je compris soudain ce que c’était : devant moi, le fleuve disparaissait brusquement pour laisser place à l’horizon. Une chute d’eau ! Il ne manquait plus que ça ! je pensais, un peu lasse. Je n’avais même plus la force de m’inquiéter, toutes ces épreuves m’avaient usée, lessivée, et j’avais de plus en plus de mal à réfléchir correctement.
Impuissante, je regardai la mort écumante fondre sur moi sans réagir. Qu’aurais-je pu faire de toute façon ? Il était trop tard, les rives étaient trop loin de chaque côté, impossible de les rejoindre à présent. J’eu une dernière pensée pour mes parents avant de m’envoler dans le ciel, à la rencontre des nuages.
Je traversais un nuage de brume tellement compact que je fus aussitôt trempée jusqu’aux os. Je me sentis tomber comme une pierre, ma pirogue sembla se maintenir à l’horizontal quelques secondes avant de piquer brutalement du nez.
Je pouvais voir le fleuve en contrebas, désormais, une dizaine de mètres plus bas. Je m’attendais à pire, j’avais une chance de m’en sortir, cette fois encore !
Le choc fut quand même violent, et je sentis mes poumons se vider de leur oxygène lorsque je percutais le lit du fleuve, au pied de la chute. Je m’enfonçais dans l’eau de quelques mètres avant de remonter brutalement, comme le bouchon d’une bouteille de champagne qu’on vient de sabrer. Je crevais la surface dans l’autre sens et en jaillit, avant de retomber comme une pierre et de me réceptionner lourdement.
Par chance, j’étais dans le bon sens, le corps hors de l’eau, et je me sentis filer vers l’avant dans le courant tumultueux. J’avais les yeux plein d’eau, je n’y voyais plus très bien. Mais je sentis bientôt ma vitesse décroître tandis que le fleuve calmait ses ardeurs. Lorsque je pus enfin regarder autour de moi, la rive la plus proche n’était qu’à quelques mètres. Par miracle, j’avais conservé ma pagaie et je commençais à m’en servir avec frénésie, pour rejoindre la rive et quitter enfin le fleuve et ses dangers.
J’avais presque réussi lorsque le silence se fit. Je n’entendais plus le bruissement du vent dans les arbres, l’eau s’écoulait sans bruit sous mon embarcation. Je crus être devenue sourde, lorsque j’entendis une voix mélodieuse s’élever dans le silence. Elle semblait m’appeler, elle me cherchait, désespérée.
Je cessais de pagayer et me redressais pour tenter de repérer l’origine de la voix, pour essayer de comprendre ce qu’elle tentait de me dire. Le fleuve était calme, les branches des arbres ne remuaient plus sous l’effet du vent, je compris que quelque chose de surnaturel était en train de se produire. Avais-je enfin trouvé le trésor que je cherchais depuis tant d’années ?
Une soudaine bouffée d’espoir m’envahit et je me levais dans ma pirogue, manquant de justesse tomber dans le fleuve lorsque celle-ci se mit à tanguer dangereusement. Lorsque je fus parvenue à me stabiliser, je me rendis compte que j’entendais la voix avec beaucoup plus de netteté.
-          Jop, disait-elle… Jop…
Elle m’appelait, à présent j’en étais sûre ! Mais que me voulait la voix ? Comment connaissait-elle mon nom ?
-          Joooooooooooopp !
La voix s’impatientait. Elle criait, me cherchait, s’énervait. Je devais lui répondre, mais je n’y arrivais pas. Je ne voyais presque plus le fleuve autour de moi. Les arbres avaient disparus dans un grand brouillard.
Je clignais des yeux et me retrouvais au milieu d’un grand jardin. J’étais assise dans un grand parapluie retourné sur le sol grisâtre d’une grande allée. J’étais recouverte de mousse. Mais qu’est-ce que je fais là ? pensais-je, en reposant un savon que je tenais dans la main. Quelle aventure, en tout cas !
La voix revint, plus claire encore.
-          Jooooppp, où es-tu ? Je suis rentré ! J’ai vu ton manteau, je sais que tu es là !
L’homme qui m’appelait s’encadrait dans la porte donnant sur le jardin. Il était vêtu d’un pantalon beige et d’un t-shirt blanc au col en V. Il me vit soudain et sembla rassuré, bien qu’un peu étonné de me voir me laver dans un parapluie renversé. Il me fit aussitôt un grand geste de la main, comme s’il voulait me montrer quelque chose.
Je me levais, me séchais avec une serviette bleue proprement pliée à côté du parapluie, puis je courus le rejoindre.
J’arrive ! m’écriais-je en riant, les cheveux encore pleins de mousse.