jeudi 23 septembre 2010

Dans les nuages égarés

Encore une nouvelle un peu plus longue que la moyenne (environ 30 pages).

J'y raconte l'histoire de Tama, adolescent embarquée à bord d'un Galion volant, suite à un véritable déluge qui a noyée la terre sous la mer.

Depuis, le Galion "l'Insoumis" et son Capitaine sont à la recherche des dernières terres encore émergées.

A lire avec les yeux?

Texte copieusement modifié. Pour celles et ceux qui l'ont lu avant le 01/10/2010, n'hésitez pas à le relire. Il est passé de 27 à 43 pages, ce qui est assez conséquent comme changement.

Suivez le lien: dans les nuages égarés

lundi 20 septembre 2010

Le futur derrière soi

Odeur du temps qui passe et assèche tout, odeur de noix broyées et écrasées, brûlées par les ans.
Résistance autour de mon corps, membrane ferme et douce à la fois, contre laquelle je m’appuie en m’étirant et qui disparait soudain au toucher, comme un glacis fragile posé sur du vide, un couvercle posé sur un chaudron, et d’où je m’extirpe lentement.
Chaleur de la boue qui éclate en gros bouillons, tournoie autour de mes jambes encore tremblantes, qui me supportent tout juste, tout juste.
Lumière. Clarté éblouissante du soleil. Aveuglement d’un sens, un seul.
L’enfant crie, à mes pieds. Vagissements terribles d’impuissance et de douleur mêlés de cet être à la vie encore fragile, et qui s’époumone, et qui tire une langue affamé à la face du monde qui vient de l’accueillir. Pourquoi, comment ?
Une sensation qui éclipse vite les autres, impérieuse, dominatrice. Un être si petit vous force à prendre conscience de son existence, impossible de l’ignorer plus longtemps, impossible…
Je reste Immobile dans ces collines rocailleuses qui nous ont fait naître, lui, moi, sans rien demander à personne. De cette mare boueuse, noirâtre, ce chaudron bouillonnant a jaillit la vie, par un miracle incompréhensible.
Des mots que je ne comprends pas résonnent dans mon crâne. Merias, mon nom. Sairem, celui du bébé. Nés le même jour, nous sommes jumeaux.
Lentement, je déploie mes bras, mes jambes. Fatigué, le corps perclus de courbatures et de rhumatisme. Brisés, les os de tout mon squelette. Je me sens usé par les ans.
Mon regard plonge dans les yeux bleus du bébé, ils me renvoient l’image d’une peau parcheminée, de tendons qui saillent. Mes yeux azur semblent la seule partie de moi encore en vie. L’impression d’être un miroir en train d’en contempler un autre domine mes pensées.
Vent qui se lève, balaye mes pensées et me fait reculer. Un véhicule descend sur nous, plane au dessus du sol en soulevant la poussière en un grand nuage sec, aride. Des hommes vêtus de noir s’en déversent, se saisissent de l’enfant et repartent. Seul avec mon lac de boue, je reste là, le regard trouble, perdu.
Je les regarder s’éloigner à l’horizon, puis je saisi d’un geste vague un petit caillou perdu là, comme un appel au secours. Penché en avant, la pierre tourne dans ma main avant de fuser sur la surface du lac. Je compte les ricochets, un, deux, trois, dix, elle s’enfonce dans la boue dans un bruit de succion. De pierre, elle devient cercle qui se propage, se diffuse à la masse noirâtre et me dépasse, sans un bruit.
Le cercle atteint l’autre rive, revient vers moi, se heurte à lui-même. De petits clapotis se forment, brisent pour quelques secondes la magie du silence.
Mon dos se redresse, mes bras semblent se dénouer, devenir plus agile. Je suis une marionnette dont le maître vient de se rappeler l’existence. J’en oublie le temps qui passe, qui passe, qui découpe ma vie en lamelles fines, pour mieux les ausculter, les disséquer.
La machine est revenue, aujourd’hui. Ils se sont posés, lentement, délicatement, ils ne voulaient rien perturber. Les hommes en noir descendent, s’avancent vers moi, et je m’élance à leur encontre pour qu’ils m’emmènent, qu’ils ouvrent l’horizon devant moi, à mon tour. Mais leurs yeux glissent sur moi, m’effleurent, sans me toucher jamais.
Leurs bottes claquent sur le sol rocailleux. Un adolescent, nu comme au premier jour, s’approche à son tour du lac à la boue couleur néant. Son regard cherche quelque chose, hésite et lentement, posant un pied devant l’autre avec prudence, il pénètre dans le chaudron. Je ralentis ma course folle, je marche, je m’arrête pour l’observer, le contempler.
Ses yeux bleus couleur azur rient, il semble soulagé, il m’a vu. Son haleine enveloppe mon corps, son front caresse le mien, son odeur me ramène en arrière, l’espace d’un instant me fait remonter le temps.
Je suis cette onde qui revient en arrière, tu es celle qui va de l’avant. Aujourd’hui nous nous touchons enfin, aujourd’hui nous nous retrouvons.
De deux, nous ne faisons plus qu’un, le passé et l’avenir mêlés.

La page blanche


C’est la nuit après mon départ, que ma mère lui a tout dit. A son âge, encore se mêler de ce genre d’histoire, franchement, quelle vieille bique !
Elle fait partie de ces gens qui croient qu’il faut tout casser, pour reconstruire, c’est pour ça qu’elle a tout déballé, dans les moindres détails.
Pas de circonstances atténuantes dans son discours, j’en suis sûr. Je la connais par cœur, comme si je l’avais fait, sauf que c’est l’inverse qui s’est produit.
Je m’en fous, c’est trop tard, le pont je l’ai coupé derrière moi. Parfois, on devrait dire « telle mère, tel fils », je ne pourrais pas supporter l’idée d’avoir laissé autre chose que des villes fantômes dans mon dos, dans mon passé.
La fille de la gare n’était peut-être pas vierge, mais aujourd’hui, moi, je m’apprête à l’être à nouveau. Page blanche, livre ouvert, avec le stylo dans la main. Je m’étais dis, « tu vas voir, c’est plus facile comme ça ». C’est alors que le train m’emporte avec lui que je me rends compte à quel point je me trompais. C’est loin d’être facile.
D’ailleurs, qu’est-ce qui est facile, dans la vie, à part commettre des erreurs ? Même s’oublier ne l’est pas. Encore faut-il savoir ce que l’on veut oublier, et même l’avoir sacrément bien en tête.
C’est comme une image en arrière plan, une vidéo en trame de fond. Une bande son, un piano qui joue en sourdine, au milieu du restaurant. C’est elle, c’était elle, plutôt. Les gens changent, c’est peut-être moi qui ait changé, au point de vouloir tout effacer, repartir de zéro.
Je ne sais même pas où va le train. J’ai acheté un billet sans regarder, j’ai tiré au sort le quai sur lequel je me suis aventuré. Il ne manquerait plus que je sois dans le bon train !
Pire encore, je pourrais être dans SON train. Elle serait dans le wagon suivant, en train de penser à moi.
Non, impossible.
Penser à autre chose.
Je suis une page blanche, il faut que je me focalise sur cette pensée, que j’en fasse mon leitmotiv, ma locomotive.
Quelque chose me distrait, me tire de ma rêverie. Au dehors, le soleil se couche et la lumière se fait violente, aveuglante pour mes yeux devenus trop sensibles avec l‘âge. Je sens comme une vague humidité dans l’air, un soupçon de regret dans l’atmosphère. Autour de moi, ce ne sont que têtes baissés, passagers endormis tassés sur leur banquette
Je reste seul éveillé, seul avec moi-même, avec ma page blanche qui ne veut pas venir, pas encore.
Il faut pourtant que je le fasse avant de me poser la mauvaise question. Il faut que je le fasse avant d’avoir le temps de me demander « pourquoi » je dois le faire. Sinon, tout recommencera comme avant.
Je dois faire table rase, je dois faire place nette, sans quoi, ma page blanche restera un doux rêve éveillé, sans consistance, sans lendemain. Et moi, ma page blanche, je l’aime déjà, je veux la voir naître. C’est mon bébé, mon trésor. Le plus beau cadeau, peut-être le seul cadeau, que je puisse me faire.
Mais une page blanche à la fin d’un livre, ce n’est pas une page blanche. C’est juste une page de plus que l’auteur, ou l’éditeur a oublié de noircir. I faut qu’il n’y ait plus rien, avant. Place nette, je l’ai dis. Place nette.
Ma main se glisse dans mon manteau, la poche intérieure. J’en ai décousu le fond, j’en sors la petite manette blanche, le joystick comme ils disent, les jeunes. Il est relié par un fil à quelque chose, glissé dans la doublure. Le fameux cadeau, celui que j’ai décidé de m’offrir, ce soir.
J’ai le bouton de la manette bien calé sous mon doigt, je n’ai plus qu’un geste à faire, je sens que j’hésite, la question que je ne veux pas me poser me brûle l’esprit, la langue, les lèvres.
J’appuie. Non, je crois que j’appuie, il ne se passe rien. Mon cerveau a bien envoyé l’ordre, mais il a dû s’égarer en chemin, entre le cortex et les muscles de mes doigts.
J’inspire à fond.
Je me relâche.
J’inspire à nouveau.
J’appuie.
Le monde explose, le livre brûle.
Je l’ai, ma page blanche, ça y est.

Chasse à l'homme et balles perdues


Jessy était assise à la terrasse d’un café. Elle avait commandé un jus d’orange et le sirotait tranquillement, une main sur la crosse de son arme, un vieux pistolet de cowboy rapporté des États-Unis. Son employeur d’un jour lui en avait fait cadeau, en même temps que l’argent de la prime.
De temps en temps, elle le sortait de son holster pour faire des moulinets autour de son doigt, avant de le rengainer d’un geste souple, trahissant une longue habitude. Son visage était décidé, son regard sombre montrait en elle une baroudeuse, qui ne se lassait pas démonter par l’adversité.
Elle observait avec la plus grande attention un sinistre individu attablé à un restaurant, de l’autre côté de la rue. Il n’avait encore rien commandé, il venait d’arriver. Il portait un grand chapeau, presque un parasol, et un poncho vert vif.
Ses couverts, posés sur une serviette en papier, attendaient qu’il daigne s’en saisir.  Deux verres se faisaient face sur la table, on aurait dit qu’ils faisaient le poirier pour passer le temps.
Un géant se pencha vers Jessy en désignant son flingue.
-                  Faut vraiment être une gonzesse pour avoir un gun rose !
Il partit d’un rire gras, moqueur, que ne supporta pas la chasseuse de primes. Elle haussa un sourcil, dégaina en un éclair et appliqua le canon de son arme sur la gorge du géant malpoli.
-                  Tu crois que mes balles sont roses, pauv’ mec ? Tu veux qu’on vérifie ?
-                  Pas la peine de t’énerver, je blaguais ! s’excusa le malotru en levant les mains. On aurait dit un joueur de foot qui vient de faucher l’attaquant adverse par derrière, et qui cherche à éviter que l’arbitre ne voit rouge.
-                  Dégage, tu m’fais de l’ombre, souffla Jessy.
L’autre ne se fit pas prier et s’éclipsa rapidement. Jessy jura et se leva d’un bond. C’était une diversion ! Le gars du restaurant en avait profité pour se tirer, et elle n’avait rien vu venir !
-                  Je me suis fait avoir comme une bleue, maugréa-t-elle en tournant la tête en tous sens dans l’espoir de retrouver la trace de sa cible. 5 000 $ pour sa tête, et il faut qu’un grand connard vienne me faire foirer mon coup !
Serrant les dents, elle traversa la rue. C’est alors qu’elle aperçu un éclair vert vif, au détour d’une ruelle, une centaine de mètres plus loin.
-                  Toi, mon gaillard, tu ne m’échapperas pas comme ça. Tu ne perds rien pour attendre.
Jessy connaissait la ville par cœur, elle savait où menait forcément la rue que venait d’emprunter l’individu au poncho vert. Bousculant les touristes amassés à la terrasse, elle se rua vers une allée adjacente et la remonta au pas de course. Un virage à angle droit, une série de petites marches qu’elle dévala 4 à 4, elle déboula comme une furie face à sa proie, figée par la surprise.
Le temps sembla s’arrêter. Jessy caressa de la main la crosse de son arme fétiche. D’un doigt, elle suivit les contours du cheval qu’elle avait fait coudre sur son holster. C’était une sorte de rituel, pour elle, juste avant la capture. Ca ne loupait jamais. Personne ne lui échappait, après qu’elle eut fait ce geste.
-                  Tu es foutu, crapule, murmura-t-elle.
Mais l’autre s’était déjà ressaisi. Lui aussi, il avait passé un doigt nerveux sur le côté de son holster noir. Jessy se rendit compte avec stupeur qu’un cheval y était dessiné, avec des clous argentés. Celui qui se faisait appeler « l’acrobate » était-il son frère ? Lui seul pouvait avoir choisi un tel emblème !
C’était la marque de fabrique de la famille Karan, dont faisait partie Jessy. Ce front dégagé, ces pommettes hautes, ce nez qu’elle lui avait cassé lorsqu’ils étaient encore tout gamins…
-                  Grand frère, c’est bien toi ?
-                  Ca te surprend, Jessy ? C’était écrit, nos destins devaient se croiser à nouveau. Tu suivras père et mère dans la tombe, fillette.
-                  Non ! C’est toi qui mourras aujourd’hui, Garret. Je me fiche des 5000$... J’aurai ta peau, je vengerai nos parents de ce que tu leur as fait subir. Prépares-toi à mourir, salopard !
Ils se firent face, reculant chacun de 20 pas. Ils semblaient avoir tous les deux accepté la mort comme compagne et ne la craignaient plus. Le silence se fit, pesant, douloureux. Le soleil déclinait dans le ciel, les baignant dans une ombre crépusculaire. L’un d’eux allait mourir, ce soir, et Jessy savait que ce ne serait pas elle.
D’un geste vif, elle lança une pièce vers le ciel. Garret resta concentré sur Jessy, ses yeux ne cillèrent pas, il était prêt, lui aussi.
La pièce tournoya sur elle-même, produisant un léger « woum-woum-woum » dans le silence tendu. Elle monta comme à regret dans les airs avant de retomber, décrivant une lente parabole qui s’acheva dans la poussière de la rue.
Jessy dégaina, aussitôt imitée par Garret. Les balles fusèrent, la fumée noire dégagée par leur arme en pleine action se fit lourde, épaisse, masquant les deux combattants en une fraction de seconde à peine.
Un râle s’éleva, on aurait dit la plainte d’un coyote en train de mourir dans le désert.
Un choc sourd y succéda, le bruit mou d’un corps qui chute et reste immobile, au sol.
Une arme décrivit un moulinet autour d’un doigt habile, avant d’être rangée dans son holster de cuir dans un seul geste fluide.
Jessy sortit alors de la fumée, un sourire carnassier sur le visage tandis qu’elle s’approchait de son frère. Il était encore en vie, il tentait de s’éloigner en rampant mais d’un bond, Jessy se projeta sur son dos, le plaquant au sol avec violence. Elle lui ramena aussitôt les bras en arrière, l’immobilisant complètement, avant de lui passer les menottes.
-                  Tu croyais vraiment que j’allais te tuer, Garret ? lui chuchota-t-elle à l’oreille. La mort, ce serait trop facile. Tu mérites de souffrir autant que moi. J’y veillerai, fais-moi confiance. Je suis ta petite sœur, après tout, et j’ai tout appris de toi.
-                  Eh, tu m’as fait mal ! s’écria soudain le garçon d’une voix aigüe. Maman, Myriam m’a fait mal ! Arrêteuuuuuuuuuuuu ! Aye aye aye…
Il commença à pleurer en tentant de se dégager. Myriam se leva brusquement lorsque sa maman jaillit de la cuisine telle le diablotin hors de sa boite.
-                  Qu’est-ce qui se passe, encore ? Myriam, enlève lui les menottes tout de suite, tu vois bien que tu lui fais mal aux bras !
-                  Ben, c’est que… hésita la petite fille en regardant ses pieds d’un air coupable…
-                  C’est que quoi ? insista sa mère, hurlant encore plus fort pour couvrir le bruit des pleurs du petit frère.
-                  C’est qu’on les a perdues, les clés. C’est Camille qui les a perdu, c’est pas de ma faute. C’est de sa faute, à lui, insista-t-elle en pointant du doigt le coupable malheureux.
En soupirant, la maman se pencha vers Camille et appuya sur un petit crochet, à la base des menottes. Elles s’ouvrirent avec un petit déclic et le garçon se releva, se frottant les mains tout  en continuant de pleurer avant de se réfugier dans les bras qui s’offraient à lui. Havre de paix dans ce monde de brutes.
-                  T’es vraiment trop méchante, Myriam, chouina-t-il en lui jetant un regard noir.
-                  Oui, et ben puisque c’est comme ça je jouerai plus jamais avec toi ! Tant pis pour toi, je jouerai avec Thomas, lui il pleure pas comme un bébé pour rien.
Aussitôt sa phrase assassine prononcée, Myriam tourna les talons et se dirigea vers sa chambre, la tête haute. Elle en referma la porte rageusement, la faisant claquer avec force et peu à peu, le calme revint dans l’appartement. Comme s’il ne s’était jamais rien passé.

jeudi 2 septembre 2010

Trafic international

Ce petit texte de 8 petites pages est tiré d'un dessin de Jop, comme souvent ! :)

Je vous le laisse découvrir. Il y est question, comme le nom l'indique, d'un trafic international.

Trafic de quoi? Vous le saurez en suivant le lien: Trafic International