samedi 28 août 2010

Alors, dansons...

Je vous présente le dernier né des productions Scalp & Cie !

Il s'agit d'une nouvelle d'espionnage et de course-poursuite, de gros flingues et d'armes secrètes (il y a même une ravissante demoiselle).

Il fait 23 pages, et je viens tout juste de finir de le relire/corriger.

Bonne lecture, et à vos stylos pour vos commentaires !

Pour lire "Alors, dansons...", cliquez sur le lien, tout simplement ! :)

mercredi 25 août 2010

Dans la Montagne


La créature étendait ses lourdes volutes sur le versant Ouest de la montagne. L’ombre des arbres qui l’entouraient la protégeait des ondes chaudes de ce curieux globe jaune, haut-perché au dessus de l’immensité bleu-azur.
Elle se sentait en paix, goûtant, dégustant de tous ses sens l’infinité de nuances de blanc de la masse neigeuse. Sa folle jeunesse était derrière elle, à présent, et elle s’était sentie fatiguée d’avoir dévalées et remontées tant et tant les pentes abruptes de son vaste domaine, à la poursuite de ces odeurs cuivrées, de ces douces fragrances au savoureux goût de métal grisâtre et de matière organique rose pâle qui faisait son régal.
Cela faisait longtemps, à présent, qu’elle n’avait plus ressenti le plaisir intense de ces longues cavalcades, de ces pentes avalées dans un soudain grondement. Elle s’était posée là, plus haut que jamais auparavant avec le vague objectif de récupérer des forces, de redonner à son vaste corps le volume perdu, dévoré par l’astre d’Or lorsque, arrivée tout en bas, presque au niveau de la vallée, elle se retrouvait face à face avec ces larges champs verdâtres, menaçants. Là, privée de la protection des arbres et de leur ombre bienveillante, elle avait sentit plus d’une fois ses forces décliner jusqu’à ce qu’elle parvienne à remonter la pente de la Montagne et à retourner se mettre à l’abri.
Bien calée dans son cocon de fraîcheur, proche du plus haut des pics enneigés, la créature s’était d’abord réjouie de voir la brume cotonneuse et blanche de son corps s’épaissir tant et plus. Mais à présent, elle ressentait comme un manque lancinant l’absence de toute forme d’excitation, de sentiment intense d’aventure, de frisson de plaisir.
L’idée avait germée en elle et ne la quittait plus, l’empêchant de retourner au doux sommeil et à l’observation de cet étrange et mystérieux ballet là haut dans le ciel, succession de chaleur mordorée et de fraîcheur sombre, teintée de scintillements blancs, pâles et froids.
Aujourd’hui, la créature frémissait d’impatience, d’excitation difficilement contenue. Le vent jouait avec son corps en s’enfonçant avec un long mugissement entre les rangées d’arbres, charriant en même temps une odeur cuivrée, brune, qu’elle reconnaissait entre toutes.
Surprise de n’avoir pas eu besoin de se rapprocher de la vallée pour y chercher sa proie favorite, elle huma l’air en se redressant à demi. Elle était à l’affut, et pourtant lorsque l’odeur se fut suffisamment rapprochée, la créature dut se faire violence pour ébrouer son corps puis le soulever péniblement, douloureusement, l’arrachant progressivement du sol auquel elle s’était intimement lié au cours de son long repos.
Lorsqu’elle put enfin se lancer sur les traces des effluves désirées, elle se rendit compte qu’elle avait trop tardé. Déjà, la proie se faisait ombre, vague bouquet d’arômes ténu dans l’atmosphère glacial de la Montagne, et elle devait se concentrer pour ne pas en perdre tout à fait la trace
Les arbres défilant à toute vitesse de chaque côté de son corps massif, la créature louvoyait autant qu’elle le pouvait entre les nombreux affleurements rocheux pour éviter que son corps ne s’effiloche, ne se divise progressivement au fil de la poursuite. Elle devait faire appel à des souvenirs profondément enfouis dans sa mémoire, presque oubliés au cours de son long sommeil.
Slalomer entre les crevasses presque invisibles qui parsemaient la paroi de la Montagne, s’envoler soudain dans les aires quelques courtes secondes, humer l’air à la recherche d’une fragrance si particulière… C’était ça, la poursuite, et la Créature n’en avait jamais connue de plus belle et ne cherchait plus à contenir la joie explosive, physique, qui l’animait enfin, après toutes ces années de silence et de calme repos.
Grisée par sa course, enivrée par la vitesse, la créature accéléra encore et parvint finalement à se rapprocher de la source de l’odeur entêtante, obsédante. Elle ne désirait plus qu’une chose, ne pensait plus qu’à une chose, entremêler ses propres fragrances à celles, si parfaites, de sa proie.
Plus d’une fois encore, l’effluve rougeâtre, doucereuse, métallique, faillit lui échapper au détour d’un chemin, à la suite d’un virage un peu trop abrupte ou d’un croisement mal négocié. Mais toujours, la Créature rattrapait son retard, comblait la distance qui la séparait de la cible qui s’était imposée à elle.
Un temps, elle eut peur d’avoir perdu son savoir-faire. L’astre d’or l’agressait de ses chauds rayons et elle sentait son corps perdre de sa masse, fondre progressivement, lui occasionnant une douleur sourde, lancinante. Soudain, elle eut peur et songea à rebrousser chemin. Mais elle avait fait trop de chemin pour renoncer aussi près du but.
La pente devint soudain plus douce, la senteur se vit plus présente, confortant la Créature dans son choix. Bientôt, elle pourrait absorber en elle la fragrance cuivrée, l’accueillir au sein de son corps afin de s’en délecter pendant de longues heures, de longues journées.
Désormais, elle distinguait parfaitement l’être qu’elle pourchassait. Comme toutes les autres proies de ses chasses, il était petit, tellement plus petit qu’elle. Ses pieds démesurément allongés traçaient 2 sillons parfaitement parallèles dans la neige, tandis que ses bras, semblables à deux longues tiges, dépassaient de son dos, comme s’ils voulaient menacer la Créature qui les pourchassait sans relâche. Sa tête dépassait à peine de son dos, boule grisâtre aux reflets métalliques qui reflétait les rayons de l’Astre de Chaleur.
Au dernier moment, alors que la Créature sentait ses doutes revenir, la proie finit par commettre une faute, basculant sur le côté et s’écroulant au sol dans un cri rauque, dans un grand brouillard neigeux. Elle fut aussitôt submergée, engloutie par la masse énorme du Chasseur qui se jeta sur elle dans un formidable grondement.
Emportant avec elle le corps si frêle de sa Proie, la Créature put enfin déguster à sa guise les effluves métalliques, mêlées d’exhalaisons organiques tellement plus savoureuses encore. Son bonheur était à son comble et elle vibrait de tout son être, un rire silencieux la secouant jusqu’au plus profond de son cœur par grandes vagues presque douloureuses.
Toute occupée  son festin, la Créature ne s’aperçut pas tout de suite que la poursuite acharnée qui venait de s’achever l’avait menée plus bas dans la vallée qu’elle n’avait jamais osé s’aventurer.
Partout autour d’elle s’étendait une vaste étendue herbeuse. Lorsqu’elle comprit quel terrible faux-pas elle avait commis, en s’obstinant à pourchasser sa Proie, il était trop tard. La première coulée de neige était trop éloignée et la chaleur quasi-insoutenable attaquait déjà le cœur même de la Créature, directement au travers des maigres volutes neigeuses qu’elle tenait encore rassemblées autour d’elle.
Prise au piège, elle sentit son corps achever de se liquéfier, ne laissant sur le sol que son noyaux difforme, aux longs membres couverts d’une douce fourrure blanche. Ses dernières forces l’abandonnèrent alors, ses pensées se figèrent sur un ultime regret, laissant place au silence de la mort.
Le lendemain, la photo de l’étrange Créature faisait la Une des journaux Savoyards du coin. Tous titraient, d’une seule voix, sur la même question sans réponse.
« Un Yéti découvert à Valloire ! L’un des nombreux effets du réchauffement climatique ? Lire notre article en page 3 »

mardi 24 août 2010

Se couper les tiffs


 Pour le dessin de Jop à associer au texte ci-dessous, cliquez ICI !
Il y a 3 dessins à prendre en considération, cette fois-ci. Il faut commencer par celui d'en bas (le personnage assis sur une chaise, en train de se couper les cheveux à grands coups de ciseaux)
Dessin by JOP, texte by Scalp

Se couper les tiffs, c’est pas facile…
Ca a commencé… Attendez, que je me rappelle…
Ah oui.
Ca a commencé lorsque j’ai voulu me couper les cheveux. Tout seul.
J’avais les cheveux trop longs. Ca piquait un peu les yeux, et puis, ce n’était pas pratique pour regarder les filles. Alors un jour, j’ai pris mon courage à deux mains.
Je me souviens, j’étais dans la salle de bain. J’ai tourné le dos au miroir, il me faisait peur, avant même les premiers coups de ciseaux. J’ai empoigné mes cheveux par mèches épaisses, j’ai coupé dans le vif sans trop réfléchir. Ca faisait un tapis par terre, ça me chatouillait les pieds.
Avoir les pieds chatouillés, c’est plus sympa que d’avoir des pointes de cheveux dans les yeux, j’avais donc encore bon espoir, tout se passait bien.
Très vite, j’ai eu des cheveux jusqu’aux chevilles. C‘est là que je me suis dit que j’avais assez ratiboisé ma chevelure comme ça.
Je n’ai pas regardé le miroir. Il me faisait encore plus peur qu’avant.
Le lendemain, maman m’a accompagné à l’école. Je me suis bien douté de quelque chose quand j’ai vu Jo se moquer de moi. Je suis sûr que c’est de moi qu’elle se moquait. J’ai regardé derrière, devant, partout, et il n’y avait personne d’autre sur le trottoir.
Je m’en fiche, c’est un garçon manqué. La preuve, elle aime le foot. Na.
Et puis je m’aime bien, comme ça. Le vent ne me décoiffe plus. Le vent me rafraîchit beaucoup plus vite quand il fait chaud.
Le plus beau, dans tout ça, c’est que je bronze du crâne !
Du coup, j’ai un succès fou auprès des filles. Même Jo a changé d’avis, après avoir pris quelques jours pour s’y habituer.
Voilà, vous savez tout. C’est comme ça que tout a commencé.
Depuis, je vois des tas de gens dans la rue qui me ressemblent, la tête massacrée à coups de cisailles !
Quand j’y pense, ça me fait pleurer de plaisir !
Après tout, je viens quand même de lancer une nouvelle mode.
Et vous, êtes vous avec moi ?

Petit voyage au bout du monde...


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Dessin by JOP, texte by Scalp

La Normandie, c’est chouette. Mais pas autant que la Corse, même si les vagues  y sont plus… Vaguelantes ? Vivantes ? Déferlantes ?
J’aime bien la Normandie quand même.
Là bas, c’est le monde à l’envers, dans ma tête : les mouettes  nagent dans une mer d’un bleu profond, dans une eau limpide, sans nuages. Enfin, quand il fait beau, bien sûr ! ^^’
Là bas, aussi, le ciel est couvert de vagues écumantes, de gros rouleaux qui font comme une couverture jusqu’à l’horizon, et plus loin encore.
Là bas, je peux toucher le ciel.
Il s’effrite sous mes doigts.
Quand je le saisis, il s’écoule de mes doigts vers le haut dans un léger chuintement… schhhhhhhhhhhhhh…
Parce que là bas, le ciel, c’est comme un gigantesque sablier, mais qui nous montre juste que le temps s’est arrêté.
Là bas, le ciel, il est jaune d’un côté et on peut marcher dessus avec les mains, et bleu et blanc de l’autre, et il mouille, il est froid. Brrrrrrrrrrrrr…
Là bas, mes jambes s’agitent vers le sol sans jamais le toucher, et le bas de mon T-shirt vient me chatouiller le menton. C’est drôle !
Là bas, je me détends.
C’est renversant, non ?

Parapluie-douche

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Dessin by JOP, texte by Scalp
Mon embarcation filait dans les eaux tumultueuses du grand fleuve Amazone. J’étais seule dans ma pirogue, luttant avec ma petite pagaie pour me maintenir au centre du fleuve, loin des dangers qui en peuplaient les rives.
Les premiers jours, plusieurs des membres de l’expédition ont péri sous le feu croisé de plusieurs tribus indigènes. Des petites fléchettes, à la pointe  probablement empoisonnée, avaient décimée notre groupe.
Par la suite, des roches affleurant à la surface avaient renversée une embarcation, projetant ses occupants dans l’eau. Des crocodiles, qui paressaient sur les rives, s’étaient dirigés vers le fleuve, paresseusement. Ils avaient finalement été devancés par une multitude de poissons aux dents aiguisées. Des Piranhas, devais-je apprendre plus tard.
Puis, la maladie avait emporté les derniers de mes compagnons, et je m’étais retrouvée seule, sur la plus petite des pirogues, avec seulement quelques jours de vivres. Très vite, j’avais perdu la carte qui devait me mener au trésor, et depuis je naviguais droit devant moi, au hasard des embranchements et des bifurcations qu’empruntait le fleuve millénaire.
Tout en songeant à mon destin, de plus en plus probable, je commençais à entendre un grondement sourd dans le lointain. Songeuse, je me demandais ce que me réservait encore l’avenir, et par quelles péripéties je devrais encore passer avant de connaître la fin de l’histoire.
Soudain, un tronc d’arbre creva la surface du fleuve à seulement quelques mètres devant moi. Il était trop tard pour l’éviter complètement, et les branches raclèrent contre le côté de ma pirogue. De l’eau commença à s’infiltrer, mais très lentement, presque au goute à goute. Le trou devait être très réduit, j’avais peut-être encore une chance de m’en sortir.
Le contact avec l’arbre m’avait envoyée tournoyer et je parvins de justesse à me retenir de vomir. Par chance, j’étais restée à peu près au milieu du fleuve, et je finis par stabiliser ma pirogue après un effort violent porté sur ma pagaie.
Le grondement sourd s’était rapproché, et je distinguais un nuage d’écume quelques centaines de mètres plus loin, vers l’avant. De la brume se répandait sur toute la largeur du fleuve, bloquant progressivement toute visibilité.
Le grondement était assourdissant, à présent, et je compris soudain ce que c’était : devant moi, le fleuve disparaissait brusquement pour laisser place à l’horizon. Une chute d’eau ! Il ne manquait plus que ça ! je pensais, un peu lasse. Je n’avais même plus la force de m’inquiéter, toutes ces épreuves m’avaient usée, lessivée, et j’avais de plus en plus de mal à réfléchir correctement.
Impuissante, je regardai la mort écumante fondre sur moi sans réagir. Qu’aurais-je pu faire de toute façon ? Il était trop tard, les rives étaient trop loin de chaque côté, impossible de les rejoindre à présent. J’eu une dernière pensée pour mes parents avant de m’envoler dans le ciel, à la rencontre des nuages.
Je traversais un nuage de brume tellement compact que je fus aussitôt trempée jusqu’aux os. Je me sentis tomber comme une pierre, ma pirogue sembla se maintenir à l’horizontal quelques secondes avant de piquer brutalement du nez.
Je pouvais voir le fleuve en contrebas, désormais, une dizaine de mètres plus bas. Je m’attendais à pire, j’avais une chance de m’en sortir, cette fois encore !
Le choc fut quand même violent, et je sentis mes poumons se vider de leur oxygène lorsque je percutais le lit du fleuve, au pied de la chute. Je m’enfonçais dans l’eau de quelques mètres avant de remonter brutalement, comme le bouchon d’une bouteille de champagne qu’on vient de sabrer. Je crevais la surface dans l’autre sens et en jaillit, avant de retomber comme une pierre et de me réceptionner lourdement.
Par chance, j’étais dans le bon sens, le corps hors de l’eau, et je me sentis filer vers l’avant dans le courant tumultueux. J’avais les yeux plein d’eau, je n’y voyais plus très bien. Mais je sentis bientôt ma vitesse décroître tandis que le fleuve calmait ses ardeurs. Lorsque je pus enfin regarder autour de moi, la rive la plus proche n’était qu’à quelques mètres. Par miracle, j’avais conservé ma pagaie et je commençais à m’en servir avec frénésie, pour rejoindre la rive et quitter enfin le fleuve et ses dangers.
J’avais presque réussi lorsque le silence se fit. Je n’entendais plus le bruissement du vent dans les arbres, l’eau s’écoulait sans bruit sous mon embarcation. Je crus être devenue sourde, lorsque j’entendis une voix mélodieuse s’élever dans le silence. Elle semblait m’appeler, elle me cherchait, désespérée.
Je cessais de pagayer et me redressais pour tenter de repérer l’origine de la voix, pour essayer de comprendre ce qu’elle tentait de me dire. Le fleuve était calme, les branches des arbres ne remuaient plus sous l’effet du vent, je compris que quelque chose de surnaturel était en train de se produire. Avais-je enfin trouvé le trésor que je cherchais depuis tant d’années ?
Une soudaine bouffée d’espoir m’envahit et je me levais dans ma pirogue, manquant de justesse tomber dans le fleuve lorsque celle-ci se mit à tanguer dangereusement. Lorsque je fus parvenue à me stabiliser, je me rendis compte que j’entendais la voix avec beaucoup plus de netteté.
-          Jop, disait-elle… Jop…
Elle m’appelait, à présent j’en étais sûre ! Mais que me voulait la voix ? Comment connaissait-elle mon nom ?
-          Joooooooooooopp !
La voix s’impatientait. Elle criait, me cherchait, s’énervait. Je devais lui répondre, mais je n’y arrivais pas. Je ne voyais presque plus le fleuve autour de moi. Les arbres avaient disparus dans un grand brouillard.
Je clignais des yeux et me retrouvais au milieu d’un grand jardin. J’étais assise dans un grand parapluie retourné sur le sol grisâtre d’une grande allée. J’étais recouverte de mousse. Mais qu’est-ce que je fais là ? pensais-je, en reposant un savon que je tenais dans la main. Quelle aventure, en tout cas !
La voix revint, plus claire encore.
-          Jooooppp, où es-tu ? Je suis rentré ! J’ai vu ton manteau, je sais que tu es là !
L’homme qui m’appelait s’encadrait dans la porte donnant sur le jardin. Il était vêtu d’un pantalon beige et d’un t-shirt blanc au col en V. Il me vit soudain et sembla rassuré, bien qu’un peu étonné de me voir me laver dans un parapluie renversé. Il me fit aussitôt un grand geste de la main, comme s’il voulait me montrer quelque chose.
Je me levais, me séchais avec une serviette bleue proprement pliée à côté du parapluie, puis je courus le rejoindre.
J’arrive ! m’écriais-je en riant, les cheveux encore pleins de mousse.

Les mouches

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Dessin by JOP, texte by Scalp

Mouche toi, pour dire bonjour à la Dame !
Le boulot, c’est pas le pied. Mes collègues prennent la mouche pour un oui ou un non. Pas moyen de se faire comprendre, ils déterrent tout de suite la hache de guerre !
Et puis, la chef n’est pas facile à vivre. Avec elle, on n’a pas le droit de se parler, ou de rire. Avec elle, on entend les mouches voler !!!! Hahahaha !!!
Mais la dernière fois qu’elle m’a cherché des poux dans les facettes, je peux vous dire que je l’ai proprement mouchée, la chef. Non mais. On ne vas pas se faire marcher sur les ailes sans réagir, quoi !
D’ailleurs, à cette occasion, j’ai senti que mon attaque avait fait mouche. On ne l’a plus revu jusqu’à la réunion d’équipe, en début d’après midi, la chef !
Il y a eu comme un grand silence, tout le monde m’a regardé, mouche-bée. Avec respect.
Ou pas.
A bien y réfléchir, ce n’était peut-être pas du respect. Plutôt de l’espoir. Voire même de l’envie.
Ca y est, il l’a fait, il a mouché sa chandelle ! Il a fait son grand coming out ! Cette fois il est grillé comme un moucheron sur un halogène !
Parfois, j’ai l’impression d’avoir de la merde à la place du cerveau. C’est embêtant, quand on n’est pas une Scathophaga stercoraria. Croyez moi.

L’œuf ou le serpent

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Dessin by JOP, texte by Scalp





De l’œuf ou du serpent, qui est le plus lent ? Peut-être le caribou ?
Mon papa me disait toujours, à travers la coquille, « Fiston, tu verras, le monde est merveilleux. Pour manger, tu n’as qu’à te baisser. Dans la vie, fiston, tu n’auras qu’à ne pas faire trop de foin, et tout se passera bien ! »
Ma maman me disait toujours, à travers la coquille, « Mon enfant, quand tu sortiras, tu verras comme le fermier est gentil, comme il s’occupe bien de nous. Avec lui, les renards n’ont qu’à bien se tenir ! »
Comment ne pas avoir envie de sortir, dans ces conditions ? A l’idée d’un tel pays de cocagne, j’en ai l’eau à la bouche, c’est sûr ! Nager dans les asticots jusqu’à la crête, le bonheur, si je veux !
Mais je me doute bien que tout n’est pas rose, même au pays des asticots et des graines. J’imagine que l’herbe n’est pas verte partout. Maman me parle d’un renard. C’est quoi, un renard ? C’est grand un renard ? C’est toujours méchant ?
C’est beau, un renard ?
En tout cas, chaque jour qui passe me rapproche un peu plus de la libération. J’ai hâte, j’ai hâte, j’ai hâte !
Aujourd’hui, j’ai senti ma coquille bouger un peu. J‘ai entendu comme un petit craquement, aussi. Je sens que c’est pour bientôt !
Je vois une petite fissure, elle laisse passer de la lumière. C’est pour aujourd’hui, c’est pour aujourd’hui !
La première fissure fait presque toute la coquille, maintenant. Et il y en a plein d’autres ! Je donne des petits coups de becs pour accélérer le mouvement parce que c’est loooooooonnnnnnnnnng !!!! Maman m’encourage de la voix, je sens qu’elle tapote aussi de son côté, pour m’aider. Je n’entends plus mon papa. Il doit être occupé à gérer la basse-cour, maman m’a dit qu’il est le chef.
Un gros morceau de coquille est parti, je vois le soleil ! Ca me stimule, il faut que je me dépêche ! Je tape, je tape, je tape, de plus en plus fort, et d’autres gros morceaux disparaissent.
Je glisse une patte dans l’ouverture, puis une autre. Je suis sorti ! Je me débarrasse d’un dernier morceau de coquille, qui restait accroché à mon crâne. Je ne vois pas maman, ni papa. Je vais partir à leur recherche, ils ne doivent pas être loin. Papa, Maman ?
J’entends comme un petit sifflement, derrière moi, ça doit être eux ! Papa, maman, je suis sorti, regardez moi ! Je veux découvrir le monde ! Je veux connaître le fermier !
Même le renard, je veux lui dire comme il est beau !
Je suis sorti de ma coquille, c’est un grand jour pour le monde !

La Facture

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Dessin by JOP, texte by Scalp

D’un geste souple, David (« TwoDee » pour les intimes) regarda sa montre tout en continuant de gravir les escaliers du métro. L’air frais le cueillit brutalement à la sortie et il se dépêcha de traverser la rue en direction d’une large esplanade. Sa chemisette en coton n’étais pas bien chaude, pas plus que son pantalon de flanelle de couleur beige, et il commençait à frissonner.
Il était tard, les derniers rayons du soleil jouaient à cache-cache avec le camion du pizzaiolo, qui enfournait avec lenteur une pizza de plus. David commençait à avoir hâte de retrouver son « chez-lui », où devait sûrement l’attendre Jop. Il l’imagina les doigts de pieds en éventails, son mac tout neuf posé sur son ventre, en train de pianoter ou peut-être de s’occuper du CV d’un de ses clients. Peut-être un chanteur, ou bien un guitariste.
La grille se referma avec un bruit sec, la porte de la boite aux lettres s’ouvrit avec un léger grincement. Quelques prospectus, une lettre pour Jop… Une facture de téléphone... Super.
La clé joua un peu dans la serrure avant d’en déclencher l’ouverture, et TwoDee s’engouffra dans l’escalier en soupirant. Tout en montant les marches, il entreprit de décacheter la lettre de la facture, et d’en sortir les quelques feuillets un peu trop volumineux à son goût.
Un chiffre lui sauta tout de suite aux yeux : un dépassement de forfait ! Combien ? se dit-il, de plus en plus énervé.
-           10€ ? Non mais c’est quoi ce bordel ! s’écria-t-il avant de s’arrêter dans l’escalier et de regarder autour de lui, une main sur la bouche. Personne.
L’agence la plus proche n’était qu’à 2 minutes de marche, il décida de s’y rendre sans même prendre le temps de déposer sa sacoche chez lui. Ca va être sanglant, ils vont m’entendre !
Dans la rue, un garçon aux cheveux longs et bouclés chantonnait « J’aurais voulu être un artiiiiiiiiiisteeeeeeeeeeeuuuuuuuuuuuu ». A côté de lui, une petite fille aux cheveux noirs, l’air concentré, avait renversé une caisse sur le sol. Dessus, elle avait posé une boite d’œufs vide et quelques pots de peinture aux couleurs vives. Elle tenait un petit pinceau dans la main et s’évertuait à décorer sa boite d’œufs en tirant la langue. Sa robe trainait par terre, dans la poussière. Le garçon avait embrayé sur une autre chanson, qui commençait par « Quand les dinosaures, ils étaient lààààààààààà… ». TwoDee s’éloigna rapidement, obnubilé par l’image de la facture virevoltant devant ses yeux.
-           Bonjour Monsieur, vous désirez ?
-           Euh… Et bien…
-           Souhaitez-vous changer de mobile ? Souscrire un nouvel abonnement, peut-être ?
Sans un mot, TwoDee sortit un pistolet mitrailleur de sa poche ventrale, ôta la sécurité et expédia une dizaine de balles dans le ventre du vendeur SFR. Dans un splendide vol plané, celui-ci se retrouva expédié par-dessus le comptoir avant de s’encastrer dans la porte menant à la réserve. Dans un grand cri, les quelques clients présents dans la boutique commencèrent à refluer vers le fond, tout en essayant de se cacher les uns derrière les autres.
La facture glissa au sol tandis que TwoDee s’emparait, de sa main libre, d’une grenade qu’il dégoupilla avec les dents. Il l’envoya dans une courbe parfaite en direction des clients agglutinés contre les vitrines remplies de téléphones et de lecteur MP3, qui explosèrent dans un grand vacarme de verre brisé, de métal déchiré et d’os réduits en miettes.
Dans la foulée, TwoDee sauta sur le comptoir, vidant son chargeur sur les employés recroquevillés derrière d’un seul geste rageur. Avisant plusieurs bouteilles d’alcool cachées sous la caisse enregistreuse, il entreprit alors d’en répandre le contenu sur le sol en parquet de la boutique. Une fois les bouteilles vidées et envoyées rejoindre les débris de vitrines et de présentoirs, TwoDee sortit alors un Zippo de sa poche.
Chclic, fit le briquet avec un bruit métallique. Tout en reculant vers la sortie, TwoDee balança d’un geste négligent le Zippo dans le liquide répandu au sol, qui s’enflamma dans un grand Wooofff. Les flammes se communiquèrent rapidement à toute la boutique, s’attaquant avec violence au comptoir en contreplaqué couleur Wengé, avant de faire exploser les dernières vitrines demeurées intactes.
Alors que TwoDee quittait la boutique et repartait dans la rue, la chaleur fit voler en éclats les larges portes vitrées coulissantes, décapitant proprement plusieurs quidams venus admirer le carnage. TwoDee prit le temps de s’allumer une cigarette avec une petite allumette, puis se détourna de la boutique dévastée tandis qu’une sirène éclatait dans le silence, faisant écho à la sirène de plusieurs camions de pompiers en approche rapide…
-           Mais je vois que vous êtes déjà client chez nous, Monsieur, s’exclama un homme en lorgnant la main gauche de TwoDee.
TwoDee se redressa et regarda autour de lui, un peu surpris. Il tenait toujours sa facture dans la main et se trouvait dans l’entrée de l’agence SFR. L’un des employés, pantalon noir et veste rouge aux couleurs de l’agence, l’observait d’un air détaché.
-           Avec le nombre de points dont vous disposez, continua le vendeur en prenant la facture des mains de TwoDee, vous pouvez facilement acquérir un nouveau mobile pour 1 €. Que diriez-vous de passer à un Smartphone ?
-           Je veux surtout que vous m’expliquiez comment je peux me faire surfacturer de 10€, alors que je ne me sers presque pas de mon téléphone ! Il me reste 2 heures de communication, ce mois-ci !
-           Alors laissez moi voir… embraya le vendeur, professionnel. Oui, je vois, déclara-t-il quelques secondes plus tard. Vous avez passé un appel vers un numéro surtaxé, Monsieur. A 10€ la minute. Tenez, c’est cette ligne, là, indiqua-t-il alors en pointant du doigt une ligne de la facture.
-           Quoi ? Combien ? Passez moi ça, rétorqua TwoDee en reprenant la facture en main. 10€ la minute ? Vous vous foutez de moi ? Bordel, c’est vrai en plus !
-           Content d’avoir pu vous renseigner, Monsieur. Désirez-vous autre chose ?
-           Non non, ça ira, merci. Mais c’est quoi, ce numéro ? se demanda alors TwoDee à voix haute, en se tournant à nouveau vers le vendeur.
-           Navré de ne pas pouvoir vous répondre, Monsieur. A présent, si vous permettez, d’autres clients attendent. Je peux…
La porte vitrée se referma sur TwoDee sans un bruit tandis que le vendeur se précipitait avec un grand sourire vers une nouvelle cliente, jupe fendue et chemisier moulant de couleur rouge. En soupirant, TwoDee se décida à rentrer chez lui. Peut-être Jop sera-t-elle au courant ?
De la lumière filtrait à travers les persiennes du salon, TwoDee se dépêcha de gravir les marches de l’escalier et de toquer à la porte. Il avait oublié ses clés, et dut attendre que Jop vienne lui ouvrir.
-           Coucou mon cœur ! Ca va mon doudou chéri ? s’exclama Jop en le prenant dans ses bras et en lui faisant des petits bisous dans le cou.
-           Ca va mon sucre d’orge, juste un peu fatigué, c’est tout.
-           Qu’est-ce que tu tiens dans la main ? Tu as pris le courrier ? lui demanda Jop en s’écartant.
-           C’est ma facture téléphone. J’ai un dépassement. 10€, expliqua TwoDee en se laissant tomber dans le fauteuil du salon, une bière à la main.
-           10€ ? Tu as appelé qui ?
-           Tiens, regarde, c’est ce numéro en 08, là, répondit TwoDee en tendant la facture à Jop et en lui montrant la ligne coupable sur la facture. 1 minute, 10€. Tu le crois, toi ? Je suis sûr de n’avoir jamais appelé ce numéro, en plus.
Jop prit la facture et s’éloigna vers la table en bois massif d’un air pensif. Elle se tapota la lèvre du bout des doigts, machinalement avant d’émettre un petit cri.
-           Oh oh… Je crois que je sais ce que c’est… continua-t-elle d’une voix gênée.
-           Tu sais ce que c’est, ma Jop ? Explique ? demanda TwoDee en se levant et en s’approchant d’elle.
-           Tu te souviens il y a deux-trois semaines ? Je t’ai dit que tu avais eu un appel bizarre, le jour où tu as oublié ton téléphone à l’appart’ ?
-           Euh… Non, ça ne me dit rien. Mais continue. TwoDee massait les épaules de Jop, distraitement.
-           Et bien, je suis presque sûre que c’était ce numéro. En tout cas, c’était ce jour là.
-           Attends, je crois que ça me dit quelque chose, finalement… L’interrompit TwoDee d’un air songeur. Mais tu m’avais dit que tu n’avais pas rappelé, je me trompe ?
-           J’ai dis ça, moi ? s’exclama Jop en se tournant vers TwoDee tout en affichant un air innocent, les yeux grand arrondis de surprise. Bon, peut-être que j’avais rappelé, en fait. Hum. Tu ne m’en veux pas, mon doudou chéri ? continua-t-elle en entourant le cou de TwoDee avec ses bras et en se plaquant contre lui.
Sans répondre, TwoDee empoigna les hanches de Jop avant de les propulser vers le haut pour faire basculer Jop sur son épaule. Les jambes de la fille battirent l’air une ou deux fois avant que TwoDee ne la projette à travers la fenêtre en un seul geste fluide. Les persiennes furent arrachées par la violence de l’impact et un cri rompit le silence avant de s’interrompre brutalement avec un bruit mat, un choc sourd. TwoDee se frotta les mains en observant le corps disloqué en bas, dans le jardin des propriétaires. Une mare de sang s’étendait rapidement, tâche incongrue de rouge sur fond vert.
Songeur, TwoDee alla chercher le bottin des pages jaunes. Après s’être humidifié le bout d’un doigt, il tourna les pages jusqu’à atteindre celle des vitriers. C’est chiant, maintenant il faut que je remplace le carreau cassé… Ca me rappelle le coup de fesses de Scalp, tiens.
-           Je n’aime pas trop que tu me regarde comme ça, doudou chéri. Tu est sûr que tu ne m’en veux pas ? insista Jop en s’écartant d’un pas.
TwoDee secoua la tête une ou deux fois pour s’éclaircir les idées avant d’aller s’asseoir dans un large fauteuil en velours. Il s’y laissa tomber de tout son poids en soupirant, avant de reprendre sa bière entamée sur la table basse et d’en boire une longue gorgée.
-           Bien sûr que je ne t’en veux pas, ma Jop. Je t’aime trop pour t’en vouloir de ce genre de bêtise, tu le sais bien… C’est la fatigue, j’ai eu une journée difficile, c’est tout.
Derrière lui, Jop poussa un soupir discret avant de se diriger vers la cuisine. Resté seul, TwoDee se massa les tempes, les yeux fermés. Foutu journée, foutu facture, pensa-t-il finalement.
Lorsque Jop revint lui annoncer que le dîner était prêt, il dormait, la tête renversée en arrière, la bouche légèrement entrouverte. Il ronflait un peu, comme un enfant attendrissant. Jop lui caressa les cheveux avant de lui déposer un petit baiser sur le front et de le laisser à son sommeil. Elle éteignit les lampes avant de refermer la porte du salon, sans un bruit…

La douleur

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Dessin by JOP, texte by Scalp
La foule se presse autour de moi, telle un monstre vorace qui chercherait à me mâchonner avant de m‘avaler. Je suis le flot des gens sans me poser de questions, simplement occupé à ne pas perturber l’élan, l’écoulement du temps. Ma seule crainte ? Que tout cela cesse. Car alors, j’en suis sûre, les questions reviendraient me hanter, me harceler. As-tu vraiment fais de ton mieux ? Regarde toi, es-tu fier de ta vie ? Qu’as-tu réalisé ? As-tu été utile à qui que ce soit ? Tu es là, perdue dans ta petite existence égoïste, nombriliste…
Une brève douleur, comme une piqûre, me traverse le bras gauche, juste au dessus du coude. Mes pensées ralentissent, se figent. L’air devient poisseux, cotonneux, s’emplit d’un goût, d’une saveur métallique. Mes mouvements s’alourdissent, deviennent douloureux à leur tour. Machinalement, je me frotte le bras à l’endroit de la douleur. Je sens comme une déchirure sur mon t-shirt, j’y passe la main, la chair entre en contact avec la chair.
Mon bras gauche se tend aussitôt, mes doigts se tordent dans des positions invraisemblables, je ne les contrôlent plus. Un feu liquide se répand dans mon bras, déboule dans mes veines, remonte jusqu’à mon épaule. Je redresse la tête dans un long hurlement. Mes pensées se brouillent, s’échappent de mon crâne en fusion. Je me fige. Je sens que je me fige.
Après le feu, un froid intense pénètre mes os, transforme mes muscles en morceaux de bois  noueux. Je suis raide, je ne peux plus bouger les bras. La chaleur court dans tout mon corps, à présent, puis la glace se répand à son tour. Je titube quelques secondes encore, avant de m’immobiliser. Je me sens comme un pantin dont on aurait coupé les fils, une marionnette remisée dans son coffre, abandonnée. Larguée.
Je crie encore, je crois, je ne sais plus, je ne sais rien. Mais c’est un lourd silence qui s’échappe de ma bouche en volutes épaisses qui recouvrent tout, masquent le monde à mes yeux. C’est un voile noir, qui ne me laisse comme seule sensation que la douleur, rouge sang, mouvante, nourrie des palpitations saccadées de mon cœur faiblissant.
Mon cœur…

La Contrebasse – Sérénité


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Dessin by JOP, texte by Scalp
 Je le disais encore à un grand gaillard survolté, l’autre jour : « on n’est pas de bois ». Enfin, vous voyez ce que je veux dire, non ? Parce que lui, il m’a regardé avec un air, comment dire… Tendu… Pas rassuré… Comme s’il avait soudain eu peur que mes cordes ne s’apprêtent à lui sauter à la caisse de résonance. Vous voyez le tableau ?
Mais je m’égare. « On n’est pas de bois », disais-je. Ca pourrait paraître étrange, faut dire, de la part d’une contrebasse comme moi, à l’ancienne. On m’a dit, l’autre jour, je ne sais plus quand… Attendez, c’était une petite guitare sèche, elle couinait en se déplaçant, encore un de ces ajouts dont raffole la jeunesse et qui vous détruise les sonorités, surtout dans les aigus.
En tout cas… En tout cas, elle m’a dit, comme ça, je m’en souviens comme si c’était hier… Que je me rappelle… Ah oui ! Elle m’a dit, tenez-vous bien : « vous, les vieux, vous croyez avoir tout vu, tout entendu, tout vécu, et vous vous foutez pas mal de la jeunesse ».
Nous, on se foutrait de la jeunesse ? Comment voulez-vous ? Avec le bruit qu’ils font ! Pas moyen, pas moyen… D’ailleurs, si vous avez une idée, prévenez-moi, hein, n’est-ce pas ?
« On n’est pas de bois », je lui réponds, à elle aussi. Pareil qu’au grand gaillard du début, faut suivre, notez bien. Puis, je lui ai dit « Ce n’est pas parce qu’un jour, on décide de cesser de s’agiter et de courir dans tous les sens, qu’on ne peut pas continuer d’être amusé par ceux qui le font encore, alors, quoi ! »
Bon.
Et ça tourne, et ça virevolte, et ça se croit les maîtres du monde, le moyeu central de la scène, les artistes du siècle, pourquoi pas, hé ? Remarquez, je ne dis pas, certains jeunes me font…
Quoi, vibrer ?
Peut-être, je dis bien, peut-être. Encore une fois, on n’est pas de bois. Et il n’est pas encore venu, le jour où je finirai dans un grand feu, alors je compte bien, comment dire, profiter un peu !
Remarquez, ce sera une occasion de plus pour eux de se la jouer, hein, n’est-ce pas ? Arf arf arf…
Mais je rigole, je rigole. Ca détend l’atmosphère, non ? Vous dites ? « Et la sérénité dans tout ça » ? La sérénité, mon gars, c’est de prendre du recul. Parfaitement. Notez ça. « Prendre du recul ». Décompresser, hein ? Mettre un tampon entre le monde et vous. Observer avec détachement.
Un exemple ?
Un exemple.
Hum…
Tenez, par exemple… Ne partez pas… Tenez, je vous dis… Eh bien, pour être franc, du temps de ma fougueuse jeunesse, je vous aurai déjà dit d’arrêter de m’emmerder avec vos questions.
Il n’est pas beau, mon exemple ? Tant pis, c’est le mien.
Vous ne restez pas ? Bon.
Alors une bonne fin de journée à vous, hein, n’est-ce pas ? Et à la revoyure !

Saturday night dreams – La contrebasse

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Dessin by JOP, texte by Scalp

La soirée se traîne, se traîne…  Ce soir je fais une prestation… Bar d’ambiance, contrebasse, piano et saxophone… D’habitude, on a des gens concentrés, pas avachis.
Là, ça se traîne, et puis c’est tout. Y a bien un ou deux clients qui lèvent les mains, qui s’agitent, mais ça va pas bien loin, tout ça.
Pourtant, la salle est top. Bonne acoustique, lumières chaudes, ambiance intime mais pas trop. Juste ce qu’il faut.
Mais je rêve d’autre chose. D’un bon truc qui bouge. Vous allez me dire, comment tu veux faire bouger une contrebasse ? Créer une ambiance, ça ne veut pas dire foutre le bordel, quoi !
Mais ma contrebasse, je veux la faire vibrer, moi ! Je veux la voir pulser ! Je veux sentir la scène prendre vie sous mes pieds !
Ma contrebasse, je la vois vivre, s’émanciper, se dédoubler dans un air devenu chaud, dans une ambiance électrique !
Et je danse à côté de mon instrument, je virevolte autour de lui, je me mets au diapason. Je suis en vie, moi !
Pas vous ?

Je chante le blues

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Dessin by JOP, texte by Scalp

Emplit de ton absence, l’appartement est somnolent
Il garde un peu partout, des traces de ton passage
Et t’appelle d’une voix chaude, ou bien murmure des « au revoir »
Partout je te sens, mais nulle part je ne te vois, et pourtant je continue de te chercher
La marque de tes jambes et de ton dos sur le fauteuil que tu aimes tant
La couverture défaite, témoin vivant de ton passage en ces lieux
La caisse de la guitare posée au mur, la porte encore entrouverte
Même mes pinceaux, que tu as rangé hier soir encore, crient ta présence
Je te cherche mais ne te trouve pas, alors je saisis doucement ta guitare
Un sourire éclot sur mes lèvres au contact du bois, une chanson sort de mes lèvres,
Je touche mon cœur d’un main rêveuse et soudain je te sens
Tu es là, dans un battement, tu palpites, boum-boum-boum
Tu es là sans être là, tu es en moi, tu vis en moi
Et je souris en pensant à toi, et je frémis en t’imaginant auprès de moi
Et je joue de la guitare en attendant ton retour
Et je chante mon blues en te murmurant des « je t’aime »
Et des « Reviens moi vite »
M’entends-tu ?

Le plateau de fromages

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Dessin by JOP, texte by Scalp

Manger du fromage ou parler, il faut choisir…
On m’a dit « le fromage, c’est comme dans la vie : il faut faire des choix ! ».
 Moi je veux bien, mais comment choisir entre tous ces bons fromages ?
Il y a les fromages à pâte persillée comme celle du bleu d’auvergne, à pâte molle comme celle du camembert, à pâte fraiche comme le chevrotin. Et j’en oublie…
Vous le prendrez au lait cru, votre fromage ? A base de lait de vache, ou bien de lait de yak, tant que vous y êtes ?
La tête m’en tourne.
En plus, chaque type de fromage me rappelle un peu de mon passé, un peu des gens qui m’entourent. Il suffit que je dévore à belles dents tel fromage à pâte fondue, pour aussitôt me retrouvé immergé dans des souvenirs d’une étrange pâte à modeler en cire rouge.
Lorsque je hume un bon fromage corse, je me remémore vaguement un lointain voyage avec mes parents. Pourquoi avais-je voulu goûter ce fromage ? Et pourquoi pas ?
Le fromage de chèvre frais, encore bien mou… Ahhhhhhhhh, que de souvenirs de Vendôme véhiculés par cette page onctueuse, presque liquide !
Coupez à pleine lame dans un bon gros reblochon, et voyez ces images de Valloire, de la Savoie, d’une tartiflette aussi, dans la région d’Annecy, accompagnée de Malibu (normal).
Et le merzer, vous connaissez le merzer ? Fondu, c’est boooooooooooooonnnnnnn ! Pas fondu, c’est booooooooooooonnnnnnnnnnnnnnn !!!!
Ahhhhhhhhhhh, les raclettes parties, au cours desquelles vous pouvez piocher dans l’assiette du voisin et vous en tirer indemne ! Surtout les soirs de nouvelle année !
Le fromage, cela devrait être inscrit au « patrimoine culturel français ». Ah bon, c’est déjà le cas ?
Le fromage, cela devrait être déclaré « Œuvre d’utilité publique », parce que c’est comme ça.
Le fromage, cela devrait être remboursé par la sécurité sociale, parce que c’est bon pour le moral, autant que par le goût.
Et vous me demandez de choisir ? Qu’importe, je les dévore tous, et puis c’est tout !