mercredi 17 novembre 2010

A la mémoire de...

Petit texte court, post-apocalyptique.
C'est l'histoire d'un chercheur de souvenirs, d'un homme dont le métier est de retrouver des témoignages du passé.

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Deuxième jet, cliquez ici.

Bonne lecture pour le troisième jet, ci-dessous:


Le vent souffle sur la ville, s’immisce dans les ruelles et toque du doigt aux fenêtres brisées des appartements désertés de tous sauf des rats. A la tombée du jour, ils sortent pour se nourrir, tapissant le bitume d’un épais tapis gris-noir troué de milliers de points lumineux, les yeux des rongeurs. Je rêve de plus en plus souvent d’un barbecue géant… Il me faudrait un lance-flammes, des grenades peut-être. La viande ne manque pas, mais elle mord, et je ne parle même pas des maladies.
De la ferraille s’écrase au sol, me tirant brutalement de mes rêveries. L’endroit est malsain, il ne faut plus que je m’attarde. Une dernière bouffée de tabac envahit mes poumons, une pichenette expédie ma cigarette au loin, et je reprends en main mes dernières trouvailles : un ours en peluche et un album photo. Sur la couverture, un enfant m’observe en souriant.
Des souvenirs remontent à la surface en le détaillant. Une voix, un rire, des cris. Des odeurs, également. Pas d’images, que du noir, et un peu de gris. Le reste est parti en fumée, tout se mélange dans ma tête. Je sais seulement que c’est pour ce genre de témoignages que je suis venu si loin, en plein cœur de la zone rouge. Mes clients me paieront bien, cette fois. J’ai trouvé ce qu’ils voulaient, même si j’ignore ce qu’ils espèrent en tirer à part des larmes et de la douleur.
-          Putain de guerre.
Le soleil rase la cime des immeubles et les ombres s’allongent. Des bruits furtifs annoncent leur présence, dans les sous-sols. Il faut que je parte. L’ourson reprend sa place dans mon sac et je claudique vers un box à la porte usée par la rouille. A l’intérieur, une jeep de l’armée à la capote rapiécée. Leal, ma seule véritable amie.
La clé de contact fait tousser le moteur, un coup sur le tableau de bord et la jauge d’essence reprend sa place. Déjà quinze ans que je l’entretiens comme je peux, avec du matériel de récupération, mais elle s’essouffle chaque jour un peu plus.
Lentement, je me faufile entre les barres d’immeubles et les carcasses de voiture abandonnées. Le vent se réveille et s’engouffre dans les pages de l’album photo, ouvert sur le siège passager.
Une cassette dans le magnéto, le son poussé au maximum, je quitte la ville en chantant. Au beau milieu de Stairway to Heaven, la bande magnétique se bloque, définitivement.
Je chante plus fort, plus faux, ça me fait une présence, un compagnon… Quelqu’un à écouter.

jeudi 11 novembre 2010

Stupeur place de la grève...

Premier jet: ici !
Seconde version: ici !

Et ci-dessous, troisième version de mon petit texte satirique - politique (un peu sur les bords):

Hier soir, le théâtre de la place de la grève affichait complet, comme toujours depuis la programmation d’une pièce au thème sulfureux : « Prendre sa retraite ou survivre, il va falloir choisir ».
Les scènes s’enchaînaient dans un joyeux désordre lorsqu’un spectateur fit irruption et exigea le silence en déclarant « Je prends les mots en otage ! »
Et le public avec, tant qu’il y était.
Stupeur dans la salle, l’individu en profita pour se présenter.
-          Je m’appelle Nicolas Robert, dit « Lepetit ». Je suis membre d’un parti d’extrême-centre que vous connaissez tous, et auto-entrepreneur dans le commerce des fausses promesses électorales.
Une légère houle agita le public, qui alla s'échouer aux pieds de l’orateur improvisé. Il sentit qu’il perdait pied.
-          Je prends les mots en otage pour mieux les libérer devant vous, mesdames et Messieurs ! Car, oui, je vous le dis, certains au gouvernement n’hésitent pas à s’accaparer le droit de parole au détriment des honnêtes artisans dont je fais partie !
Monsieur Robert dit « Lepetit » reprit son souffle, la houle s’agita de plus belle.
-          Aussi, j’exige ce jour la libération immédiate et sans conditions de la phrase type « casse-toi pôv… », détenue en toute illégalité depuis septembre dernier par les services de l’Elysées !
NDLR : Monsieur Robert s’est récemment porté acquéreur des droits commerciaux sur le thème : « Casse-toi pôv grippe A », ou encore « Casse-toi pôv sélectionneur ». Mais la vente en officine de ces phrases types ne pouvait se faire sans une décision en ce sens du tribunal administratif de Nanterre, qui vient précisément de rendre un avis défavorable.
Monsieur Robert n’a pas manqué de dénoncer sur scène l’ingérence manifeste des pouvoirs publics dans ce dossier. La houle se changea en déferlante, Monsieur Robert dut hausser la voix pour continuer de se faire entendre.
-          J’exige également l’abrogation pure et simple de la loi sur la politique des quotas dans le cadre de l’immigration linguistique ! Une langue figée est une langue morte ! Vive les corners, et mort aux coups de pied de coin !!!
Arrivé sur les lieux, le Capitaine de Gendarmerie Louis Gloriot entama les négociations. Monsieur Robert, qui détenait plusieurs centaines de mots en otage (constituant les deux derniers actes de la pièce), menaça de les détourner publiquement de leur usage et, si ses exigences n’étaient pas satisfaites, de les manger accompagnés de brie de Meaux et d’une bouteille de côte de Beaune, qu’il brandissait à bout de bras d’un air menaçant.
Plusieurs des comédiens tournèrent de l’œil et s’écroulèrent au sol. L’un d’eux est hospitalisé dans un état critique à l’hôpital du « Mot couvert », le pronostique vital reste engagé.
La situation, particulièrement délicate selon le Capitaine Gloriot, n’évolua pas jusqu’à l’intervention de l’Unité Spéciale du G.I.I.S. (« Groupement d’intervention des Intermittents du Spectacle », ndlr).
Les agents de cette brigade, peu connue du grand public et spécialisée dans les atteintes au caractère sacré des lieux de Culture, prirent position. Devant le refus catégorique de négocier de Monsieur Robert, ordre fut donné de lancer l’assaut.
Celui-ci fut bref. Une remarque assassine, décochée à plus de deux cent mètres et sans micro par un tireur d’élite, réduisit au silence le preneur d’otage, ouvrant la voix à l’évacuation des derniers mots de la pièce encore présents sur les lieux.
La création d’une cellule psychologique a été annoncée par le Ministre de la Culture, Monsieur Bernard Pavot.
Le prévenu doit être jugé au tribunal de Meaux. Par mesure de sécurité, Monsieur Robert sera auditionné bâillonné.
Il encourt une peine maximale de douze mois d’écoute quotidienne des débats de l’Assemblée Nationale.
L’hôpital du « Mot Couvert », doté d’une unité spécialisée dans le traitement des maux et troubles linguistiques, a annoncé via le site internet du Monde, lui réserver une chambre.
Maître Larousse, avocat de Monsieur Robert, s’est abstenu de tout commentaire, déclarant seulement que son client n’hésiterait pas à faire appel en cas de confirmation du jugement lors de la prochaine Université d’Été du tribunal de Meaux.
Article 2.0 publié par le_mardisien_masqué sur le site communautaire « l’atelier du mardi soir »

L'homme aux raisins secs...

Ma maman m’a mis au lit il y a très longtemps. Je le sais parce que le soleil s’est couché et on est en été. Le soleil se couche tard en été, mais lui il a le droit. Son papa et sa maman ne sont pas là pour le gronder. Je ne sais pas où ils sont, et mon papa et ma maman ne le savent pas non plus.
Je m’étais endormi, mais j’ai fait un mauvais rêve, et je me suis réveillé avec l’oreiller tout mouillé. Mes joues aussi étaient mouillées. Papa dit que ça s’appelle un « cauchemar ». C’est pas facile à dire. Mauvais rêve, c’est plus facile.
J’ai un peu reniflé pour que papa vienne me consoler, mais il est souvent en colère, quand je pleurniche comme un bébé. Il me dit que je suis un grand garçon, et que ça ne pleure pas pour rien, un grand garçon. Alors j’ai serré fort mon amour-peluche, à la place.
Il s’appelle Nyours. Il a une petite tête rigolote et des oreilles qui tombent à force de tirer dessus. Il est toujours gentil, et il est tout doux. Maman dit qu’il est « made in ailleursland », mais je ne sais pas où c’est. C’est sur la terre, ça j’en suis sûr. Peut-être au pôle nord, avec le papa noël.
Nyours, il me raconte des belles histoires qui finissent toujours bien, quand je suis triste. Il me parle des dragons qui crachent du feu, et des chevaliers avec des grandes épées. Parfois, je lui demande de me raconter des histoires de princesses, même si je suis un garçon.
Nyours a un peu baillé. Il s’est frotté les yeux, et il m’a demandé si je connaissais l’histoire de l’homme aux raisins secs. J’ai secoué la tête parce que je ne la connaissais pas, alors il a fait un bruit de caverne avec sa gorge, comme papa quand je lui pose plein de questions, et il a raconté son histoire.
« Il était une fois un vieil homme qui avait tout le temps l’air heureux. Il était si joyeux, du matin au soir et du soir au matin, toujours prêt à danser, à rire et à chanter, que ses voisins lui demandaient, un peu jaloux :
-          Quel est ton secret, toi à qui la vie semble sourire ? Tu n’es pourtant pas bien riche, ta femme est montée au ciel, tout là haut, tes enfants voyagent à travers le monde et ne te rendent presque plus visite. Comme fais-tu donc ? demandaient-ils.
-          Tu le sais, toi, comme il fait ? me demande Nyours de sa grosse voix d’ours.
J’ai encore secoué la tête pour dire que je ne connaissais pas le secret du vieil homme.
-          Comme il ne voulait rien dire à personne, a continué Nyours, ses voisins ont commencé à l’épier, à l’observer en cachette. Un soir, il était très tard, le boulanger a vu le vieil homme sortir de chez lui en traînant les pieds et la tête basse. Il portait un sac sur l’épaule et il avait l’air très malheureux. Ca lui arrivait donc, à lui aussi !
-          Et il allait où, le vieil homme, avec son sac ? Il partait en voyage pour retrouver ses enfants ?
-          Ne sois pas si pressé, je vais te le dire. Le boulanger, qui était très curieux, comme toi, a suivi discrètement le vieil homme jusqu’au bord de la plus haute falaise. En dessous, il y avait la mer et ses vagues blanches. C’était la nuit, mais la lune était belle, ronde et haute dans le ciel. Le vieil homme s’est assis sur un rocher, et il a ouvert son sac. Tu devines ce qu’il y avait, dedans ?
J’ai un peu réfléchis, et je me suis souvenu du titre de l’histoire.
-          Des raisins secs ! j’ai crié en levant les mains. Et qu’est-ce qu’il en a fait, il les a mangé ?
-          Non, petit glouton. C’était la marée haute, tu comprends, et les vagues venaient lécher les rochers de la falaise. Alors, un à un, le vieil homme a jeté dans l’écume tous les raisins secs qu’il avait mis dans son sac. A chaque raisin qu’il lançait, c’était une pensée malheureuse qui disparaissait. Quand son sac fut vide, le vieil homme rentra chez lui en souriant. Le lendemain, le boulanger raconta à tout le monde ce qu’il avait vu, mais personne ne voulut le croire.
-          Moi, j’y crois, à l’histoire du vieil homme aux raisins secs, j’ai dit à Nyours en hochant la tête.
Puis, j’ai eu une idée. Nyours dans les bras, je suis descendu de mon lit. A la cuisine, j’ai mis des raisins secs dans un bol, pendant que la baignoire se remplissait.
Quant l’eau est arrivé encore plus haut que pour le bain, j’ai coupé le robinet et j’ai fait faire des ploufs à tous les raisins, chacun à leur tour. C’était rigolo et je n’étais plus triste du tout.
Maman a allumé la lumière juste après le plongeon du dernier raisin. Elle m’a demandé quelle bêtise je fabriquais encore, avec une voix pas gentille. Mais c’est quand elle a vu tous les raisins et l’eau dans la baignoire, et aussi un peu par terre, qu’elle a été très en colère. Elle a demandé ce qu’on allait bien pouvoir faire de moi. J’ai répondu que je voulais être un pompier, pour sauver plein de gens dans le feu.
Normalement, elle rigole et me caresse les cheveux quand je dis ça, avec des yeux qui pétillent et qui la rendent très belle.
Mais elle m’a fait les gros yeux, pas du tout pour de faux, et elle m’a porté jusqu’à mon lit comme un paquet de linge sale. J’ai serré Nyours pour qu’il ne tombe pas. Il aurait eut trop peur, seul dans le couloir tout noir.
Maman m’a grondé, dans ma chambre. Elle ne voulait pas que je l’oblige encore à se lever, sinon ça allait barder. Moi, je n’aime pas quand elle est en colère, alors j’ai dit que je serais bien sage et je lui ai fait un bisou pour qu’elle soit moins triste, elle aussi.
J’ai regardé Nyours, j’avais les joues toutes chaudes et toutes mouillées. Il a recommencé à vouloir me parler d’un homme aux abricots secs, alors je lui ai fais des guillis et un câlin, pour qu’il oublie son histoire. Il s’est endormi dans mes bras très vite.
Chut, ne faites pas de bruits, vous allez le réveiller…