vendredi 15 juin 2012

Bonne fête des pères


L’homme, revêtu d’un lourd scaphandre, fait de grands bonds de sauterelle sur la face exposée de la planète morte.
Autour de lui, les plaines désertiques, au sol craquelé, sont parsemées de cratères et de petites collines.
Chacun des pas du scaphandrier soulève un nuage de poussière rouge, dense, qui met plusieurs minutes à retomber, à chaque fois.
Le soleil se lève à l’horizon, ses pâles rayons peinent à réchauffer l’atmosphère, et du givre se forme, toujours, sur la visière du casque de l’homme.
Au loin, un gigantesque panneau déploie son message en trois dimensions, sur plusieurs centaines de mètres carrés.
« Participez à l’expérience du Tourisme archéologique, visitez les villes endormies de nos ancêtres. Revivez la Guerre des 95, comme si vous y étiez ! »
Au détour d’une colline, à l’issu d’un parcours fléché de rouge, le scaphandrier parvient à une large dépression en forme de vasque.
Tapie au fond de son nid, une ville aux tours brisées, démolies, aux rues encombrées des carcasses d’une société anéantie, l’attend, l’espère.
« Paris, joyaux de la décadence Terrienne, berceau et tombeau de la Civilisation Humaine. Paris, principal centre culturel de son époque. Paris, première ville à tomber, victime du conflit éclair, la « Guerre des 95 ». 95 minutes, 95 milliards de morts, 95 millions de survivants. »
Suit un court film en réalité augmentée, injecté directement dans la matière grise du scaphandrier-touriste-archéologue.
L’exode, les bombes, les cris, la mort, le sang et la souffrance comme si vous y étiez. En direct live. Ou presque. La publicité n’avait pas mentie.
Un appartement vide, au sein d’une tour couchée sur le flanc comme une grand-mère malade.
Un simple mot laissé sur la table en bois de la cuisine.
Une écriture d’enfant, pour faire plus vrai, et la trace de sang en surlignance, pour le côté dramatique.
Le dernier mot n’est pas complet. L’enfant a été interrompu par le déluge de feu, probablement ?
« Bonne fête des pères, mon Papapounet d’Amour ! Je t’Aime très fort ! Dis, tu m’emmèneras vraiment au parc Eurodisney à mon prochain anniversaire ? Tu m’as pro… »
On imagine l’enfant relevant soudain la tête en entendant le bruit des premières bombes, le stylo encore posé sur la feuille de papier.
Incroyable qu’une simple feuille ait pu survivre a tout cela. A moins qu’elle n’ait été rédigée plus tard, après le conflit ?
C’est rudement bien imité, en tout cas, songe le scaphandrier en tâtant les bords calcinés du « témoignage d’un lointain passé ».
L’homme repose la lettre sur la table et ressort de la pièce, de sa démarche mi-trainante, mi-bondissante.
Le mot d’un enfant mort depuis des siècle. Un lieu du temps passé. Eurodisney.
Tout cela a-t-il pu être réel, un jour ?
Enfonçant quelques boutons sur sa combinaison, il fait apparaître devant lui des flèches rouges.
La visite continue…

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