vendredi 15 juin 2012

L'Arbre-Monde


Le colis est arrivé par la poste, tout bêtement. Je me souviens, c’était un vendredi.
J’étais en classe. Je suis en 2nde, au Lycée de Montgeron.
C’est un oncle au 6éme degré, vivant au Parapalague, qui nous l’a envoyé.

L’Arbre-Monde.

C’est comme ça que je l’appelle, maintenant, mais à l’époque, je croyais que c’était un banal arbre nain.
Un bonzaï, m’a expliqué mon père.
Par contre, il n’a pas pu me dire où se trouve le Parapalagua. Et pourtant, li a cherché dans son encyclopédie en 40 volumes.
On a quand même planté l’arbre dans le jardin, dès le lendemain matin.
Ensuite, Papa est parti travailler, et je suis resté là, à observer cet arbrisseau bizarre, biscornu.
A un moment, j’ai cru voir quelque chose bouger entre ses racines, et je me suis penché en avant.
L’espace d’un instant, un minuscule petit être aux yeux noirs et à la peau verte m’a regardé. Il n’avait pas l’air d’avoir peur. Il était plutôt… étonné…
Puis, je me suis senti aspiré vers le sol et je n’ai plus rien vu, comme si je tombais dans un trou noir.
Quand je me suis réveillé, je me trouvais dans une forêt aux arbres tellement grands qu’ils devaient culminer à un kilomètre de hauteur. Leurs frondaisons se rejoignaient et formaient un tapis vert sombre, qui empêchait presque complètement la lumière du soleil de m’atteindre.
J’ai essayé de me relever, mais je me suis rendu compte que mes jambes avaient disparues. A la place, j’avais une queue de têtard translucide, et je flottais à quelques centimètres au dessus du sol.
Je me suis trouvé un peu ridicule, mais ça m’a surtout persuadé que j’étais en plein rêve, et que j’allais me réveiller. Je m’attendais presque à voir filer un lapin blanc équipé d’une montre à gousset sous mon nez !
Un peu plus tard, j’ai pu observer mon reflet dans un petit lac. Je ressemblais un peu à un fantôme à demi transparent, et je portais un sifflet autour du cou.
Bizarrement, l’idée de le prendre et de souffler dedans ne m’est même pas venue. Pas tout de suite, en tout cas. Mais j’y reviendrai.
J’avais déjà remarqué que plus j’avançais vers le nord, plus la luminosité semblait devenir forte. A quelque distance, devant moi, les rayons de soleil perçaient les buissons. C’était vraiment très beau à voir. Je ne suis pas du genre à m’extasier devant un coin de verdure, d’habitude, mais là, ça m’a touché d’une façon étrange. Presque… Magique.
Mais plus je progressais dans cette direction, plus l’air devenait chaud, et plus l’atmosphère se faisait sèche.
C’est lorsque j’ai finalement débouché sur une vaste zone dégagée que je les ai vus. Je parle des compagnons – je décidai de les nommer « les Sylvains » – du petit être vert qui m’avait observé, juste avant que je ne me fasse happer dans l’univers de l’Arbre-Monde.
Car j’en étais sûr et certain, déjà à ce moment là. Je me trouvais dans l’Arbre nain, le Bonzaï, qu’un oncle inconnu, vivant dans un pays inexistant, nous avait envoyé par la poste.
Ils se tenaient là, au bord d’une vaste étendue de sable jaune. Ils observaient l’horizon, et ce qu’ils y voyaient ne semblait pas leur faire plaisir.
Je me suis rapproché d’eux, sans qu’ils daignent seulement montrer qu’ils avaient remarqué mon apparition, et j’ai entendu leurs murmures.
A l’horizon, ils voyaient la Mort Jaune. Le désert. Ils en avaient peur, mais ils ignoraient comment vaincre un tel ennemi.
La veille, j’avais assisté à un cours sur le réchauffement climatique. Notre professeur d’écologie nous avait expliqué en long, en large et en travers, les périodes de glaciation et de réchauffement successives qu’avait connu – et qu’elle continuera de connaître à l’avenir – notre planète.
La leçon s’était achevée sur l’écoute d’une chanson. Le thème en était l’avancée implacable du désert en Afrique. Je n’avais pas vraiment compris les paroles, qui étaient en anglais, mais je me souvenais de l’air.
Je me suis surpris à le fredonner. La musique était encore fraiche dans ma mémoire, et la réaction que j’avais ressentie à la première écoute revenait à présent, avec plus de force encore. Sans doute, de la magie parcouraient ce curieux monde de l’Arbre-Nain, sinon je ne vois pas comment expliquer ce qui s’est produit, après.
Car, à mesure que je libérais ma voix et que je fredonnais plus fort, j’ai commencé à ressentir une pulsion dans tout mon corps. Un battement profond et grave, accompagné d’une vibration presque douloureuse, tant elle était intense.
Puis, les paroles me sont revenues, et ma voix s’est élevée dans l’air chauffé à blanc. Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai remarqué que je portais une lyre, et que j’avais commencé à en jouer sans trop savoir comment, sans trop comprendre pourquoi.
C’est alors, alors seulement, que les Sylvains parurent conscients de ma présence.
-          L’Arbre-Mère nous a envoyé un messager ! Il nous montre comment faire reculer le désert ! s’écria l’un d’entre eux en me pointant du doigt.
Je parvins à ne pas me laisser déconcentrer, et mon chant s’éleva de plus belle, couvrant les cris excités des créatures des bois.
Peu à peu, elles se joignirent à mon chant, qui gagna en puissance, mais aussi en maîtrise, et en diversité. Leurs intonations, les tonalités de leurs voix s’associaient pour former un ensemble majestueux, plein d’une gravité, et dont le souvenir, encore aujourd’hui, me fait monter les larmes aux yeux.

Et le miracle se produisit.

Autour de nous, de petites pousses s’extirpèrent du sol sablonneux, s’assemblant pour former des buissons, les troncs d’arbrisseaux déjà vigoureux.
Peu à peu, le désert cédait la place à un paradis verdoyant.
Peu à peu, la vie reprenait ses droits.
Peu à peu, l’espoir revenait chez les Sylvains.
Et bientôt, ils n’eurent même plus besoin de moi pour les guider, encore moins pour les pousser en avant.
Déjà, ils ne faisaient plus attention à moi, tout leur être arque bouté dans une direction précise, tous leurs sens braqués sur l’ennemi.
Je n’existais plus, à leurs yeux.
Au bout de sa chaine, le sifflet s’agita alors, de plus en plus fort, comme s’il s’impatientait. Je le pris entre mes mains avant de le porter à mes lèvres.
Il était chaud, doux au toucher.
Je soufflais une fois dedans, une seule. Je me suis soudain senti fatigué. Exténué.
Une main s’est posée sur mon épaule et m’a tiré de mon hébétude.
J’étais de retour dans mon corps, dans mon jardin.
J’étais allongé à côté de l’Arbre-Monde.

Je savais que tôt ou tard, j’y retournerai, et que la Magie, à nouveau, m’envelopperait dans son chaud manteau.

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