Le colis est arrivé par la poste,
tout bêtement. Je me souviens, c’était un vendredi.
J’étais en classe. Je suis en 2nde,
au Lycée de Montgeron.
C’est un oncle au 6éme degré,
vivant au Parapalague, qui nous l’a envoyé.
L’Arbre-Monde.
C’est comme ça que je l’appelle,
maintenant, mais à l’époque, je croyais que c’était un banal arbre nain.
Un bonzaï, m’a expliqué mon père.
Par contre, il n’a pas pu me dire
où se trouve le Parapalagua. Et pourtant, li a cherché dans son encyclopédie en
40 volumes.
On a quand même planté l’arbre dans
le jardin, dès le lendemain matin.
Ensuite, Papa est parti
travailler, et je suis resté là, à observer cet arbrisseau bizarre, biscornu.
A un moment, j’ai cru voir
quelque chose bouger entre ses racines, et je me suis penché en avant.
L’espace d’un instant, un
minuscule petit être aux yeux noirs et à la peau verte m’a regardé. Il n’avait
pas l’air d’avoir peur. Il était plutôt… étonné…
Puis, je me suis senti aspiré
vers le sol et je n’ai plus rien vu, comme si je tombais dans un trou noir.
Quand je me suis réveillé, je me
trouvais dans une forêt aux arbres tellement grands qu’ils devaient culminer à
un kilomètre de hauteur. Leurs frondaisons se rejoignaient et formaient un tapis
vert sombre, qui empêchait presque complètement la lumière du soleil de
m’atteindre.
J’ai essayé de me relever, mais
je me suis rendu compte que mes jambes avaient disparues. A la place, j’avais
une queue de têtard translucide, et je flottais à quelques centimètres au
dessus du sol.
Je me suis trouvé un peu
ridicule, mais ça m’a surtout persuadé que j’étais en plein rêve, et que
j’allais me réveiller. Je m’attendais presque à voir filer un lapin blanc
équipé d’une montre à gousset sous mon nez !
Un peu plus tard, j’ai pu
observer mon reflet dans un petit lac. Je ressemblais un peu à un fantôme à
demi transparent, et je portais un sifflet autour du cou.
Bizarrement, l’idée de le prendre
et de souffler dedans ne m’est même pas venue. Pas tout de suite, en tout cas.
Mais j’y reviendrai.
J’avais déjà remarqué que plus
j’avançais vers le nord, plus la luminosité semblait devenir forte. A quelque
distance, devant moi, les rayons de soleil perçaient les buissons. C’était
vraiment très beau à voir. Je ne suis pas du genre à m’extasier devant un coin
de verdure, d’habitude, mais là, ça m’a touché d’une façon étrange. Presque…
Magique.
Mais plus je progressais dans
cette direction, plus l’air devenait chaud, et plus l’atmosphère se faisait
sèche.
C’est lorsque j’ai finalement
débouché sur une vaste zone dégagée que je les ai vus. Je parle des compagnons
– je décidai de les nommer « les Sylvains » – du petit être vert qui
m’avait observé, juste avant que je ne me fasse happer dans l’univers de
l’Arbre-Monde.
Car j’en étais sûr et certain,
déjà à ce moment là. Je me trouvais dans l’Arbre nain, le Bonzaï, qu’un oncle
inconnu, vivant dans un pays inexistant, nous avait envoyé par la poste.
Ils se tenaient là, au bord d’une
vaste étendue de sable jaune. Ils observaient l’horizon, et ce qu’ils y
voyaient ne semblait pas leur faire plaisir.
Je me suis rapproché d’eux, sans
qu’ils daignent seulement montrer qu’ils avaient remarqué mon apparition, et
j’ai entendu leurs murmures.
A l’horizon, ils voyaient la Mort
Jaune. Le désert. Ils en avaient peur, mais ils ignoraient comment vaincre un
tel ennemi.
La veille, j’avais assisté à un
cours sur le réchauffement climatique. Notre professeur d’écologie nous avait
expliqué en long, en large et en travers, les périodes de glaciation et de
réchauffement successives qu’avait connu – et qu’elle continuera de connaître à
l’avenir – notre planète.
La leçon s’était achevée sur
l’écoute d’une chanson. Le thème en était l’avancée implacable du désert en
Afrique. Je n’avais pas vraiment compris les paroles, qui étaient en anglais,
mais je me souvenais de l’air.
Je me suis surpris à le
fredonner. La musique était encore fraiche dans ma mémoire, et la réaction que
j’avais ressentie à la première écoute revenait à présent, avec plus de force
encore. Sans doute, de la magie parcouraient ce curieux monde de l’Arbre-Nain,
sinon je ne vois pas comment expliquer ce qui s’est produit, après.
Car, à mesure que je libérais ma
voix et que je fredonnais plus fort, j’ai commencé à ressentir une pulsion dans
tout mon corps. Un battement profond et grave, accompagné d’une vibration
presque douloureuse, tant elle était intense.
Puis, les paroles me sont
revenues, et ma voix s’est élevée dans l’air chauffé à blanc. Lorsque j’ai
ouvert les yeux, j’ai remarqué que je portais une lyre, et que j’avais commencé
à en jouer sans trop savoir comment, sans trop comprendre pourquoi.
C’est alors, alors seulement, que
les Sylvains parurent conscients de ma présence.
-
L’Arbre-Mère nous a envoyé un messager ! Il nous
montre comment faire reculer le désert ! s’écria l’un d’entre eux en me
pointant du doigt.
Je parvins à ne pas me laisser
déconcentrer, et mon chant s’éleva de plus belle, couvrant les cris excités des
créatures des bois.
Peu à peu, elles se joignirent à
mon chant, qui gagna en puissance, mais aussi en maîtrise, et en diversité. Leurs
intonations, les tonalités de leurs voix s’associaient pour former un ensemble
majestueux, plein d’une gravité, et dont le souvenir, encore aujourd’hui, me
fait monter les larmes aux yeux.
Et le miracle se produisit.
Autour de nous, de petites
pousses s’extirpèrent du sol sablonneux, s’assemblant pour former des buissons,
les troncs d’arbrisseaux déjà vigoureux.
Peu à peu, le désert cédait la
place à un paradis verdoyant.
Peu à peu, la vie reprenait ses
droits.
Peu à peu, l’espoir revenait chez
les Sylvains.
Et bientôt, ils n’eurent même
plus besoin de moi pour les guider, encore moins pour les pousser en avant.
Déjà, ils ne faisaient plus
attention à moi, tout leur être arque bouté dans une direction précise, tous leurs
sens braqués sur l’ennemi.
Je n’existais plus, à leurs yeux.
Au bout de sa chaine, le sifflet
s’agita alors, de plus en plus fort, comme s’il s’impatientait. Je le pris
entre mes mains avant de le porter à mes lèvres.
Il était chaud, doux au toucher.
Je soufflais une fois dedans, une
seule. Je me suis soudain senti fatigué. Exténué.
Une main s’est posée sur mon
épaule et m’a tiré de mon hébétude.
J’étais de retour dans mon corps,
dans mon jardin.
J’étais allongé à côté de
l’Arbre-Monde.
Je savais que tôt ou tard, j’y
retournerai, et que la Magie, à nouveau, m’envelopperait dans son chaud manteau.
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